Résolution des différends – À l’amphithéâtre de la vérité

Les promoteurs de l’amphithéâtre de la Ville de Québec avaient raison de vouloir éviter un procès à la cour. Toutefois, ils n’ont pas choisi la meilleure voie pour faire valoir leur projet en faisant appel à l’Assemblée nationale du Québec, car ce n’était pas possible de mettre le projet à l’abri d’un défi constitutionnel. Ils ont négligé la voie du dialogue laquelle aurait pu leur permettre de réaliser leur projet dans le respect des contraintes.

Le ministre de la Justice, également leader parlementaire du Gouvernement du Québec, l’honorable Jean-Marc Fournier, a donné les grandes lignes de son programme de réforme de l’administration de la justice dans une conférence prononcée lors de l’ouverture du Congrès du Barreau du Québec le 2 juin dernier à Gatineau. Il disait favoriser un dialogue le plus large possible comme le seul moyen d’obtenir un point d’équilibre entre les droits et les intérêts des citoyens.

D’après le Ministre, le système actuel coûte trop cher et répond à la demande du justiciable trop tard. Quatre-vingts pour cent (80%) des citoyens n’y ont pas accès et pour la poignée de privilégiés y ayant accès, c’est trop tard. Pour le Ministre et donc pour le Gouvernement, il s’agit d’un enjeu majeur et il leur faut investir davantage au niveau des institutions, de l’éducation et de la gestion. Le Ministre aurait pu ajouter qu’il faut que le système soit en mesure de répondre aux attentes des citoyens par des remèdes à point.

Penchons-nous d’abord sur le fait que les décideurs recherchent la vérité comme apport à leur prise de décision. Les citoyens (et les avocats?) aiment bien la voie de la contradiction comme moyen d’arriver à cette vérité : l’interrogatoire et le contre-interrogatoire, et ce à tous les moments, tant au préalable qu’au procès. Les gens qui n’ont pas vécu eux-mêmes un procès en ont vu à la télé, au cinéma ou au théâtre. C’est vrai que la contradiction a sa place, mais les citoyens ont pu observer à même ces médias que la contradiction ne mène pas toujours à la vérité et comporte de sérieux inconvénients.

Le dialogue mise sur l’appréciation comme moyen d’arriver à la vérité pour les fins de la cause en se servant de nombreux outils de gestion et de connaissances modernes tout en conservant l’essentiel de la tradition. Dans un premier temps, je vais décrire ce moyen sommairement, quitte à revenir dans un deuxième temps pour mettre en lumière le sous-oeuvre. Ce qui pourrait prendre un temps fou en mode de contradiction (des semaines, des mois et à l’occasion des années) pourrait être accompli en mode d’appréciation en quelques jours et parfois en quelques heures. Car le vrai défi réside dans la résolution.

Prenons le cas simple de Jean et de Marie. Dans un premier temps, le tiers prend soin que les deux personnes se retrouvent dans un environnement où elles se sentent en sécurité et savent qu’elles ne seront pas pénalisées pour admettre la vérité. Jean raconte son histoire, son vécu, à Marie, en la présence du tiers, un chapitre à la fois. Marie écoute attentivement. Marie demande à Jean des informations supplémentaires afin de mieux comprendre l’histoire de Jean. Jean raconte son histoire à la première personne (je ou nous), donnant toujours sa façon de voir les choses, ses réactions aux autres personnes et aux événements. Marie reflète à Jean ce qu’elle a entendu et retenu. Jean la corrige au besoin, en ajoutant des précisions, jusqu’à ce que Jean soit satisfait de ce que Marie a bien saisi son vécu. Puis, Marie raconte son histoire à Jean, et ainsi de suite. Le tiers promeut l’appréciation, empêche la contradiction et voit à l’enregistrement de l’échange.

Voici le sous-oeuvre. Jean et Marie expriment le fond de leur identité. Jean et Marie co-opèrent. Jean et Marie s’écoutent l’un l’autre et savent que chacun a été écouté. Jean et Marie démontrent de l’empathie envers l’autre. Jean et Marie ne donnent à l’autre que des informations authentiques, soit leur vécu respectif. Jean et Marie ont fait et ont respecté une entente. Les deux se sentent valorisés. Ils ont fait preuve de compétence. Jean et Marie se calment. Les heurts de chacun ont reçu un baume. Oui, c’est vrai que ce n’est qu’un début, mais la physique nous a appris que les conditions initiales peuvent changer le système; c’est l’effet papillon.

Il se peut que leurs histoires ne s’accordent pas au point où on peut se demander s’ils ont assisté au même événement ou même s’ils habitent la même planète. Chaque personne est un univers et, d’après Jean Vanier, « une personne sacrée ». En général, les gens ne sont pas des menteurs, même si les uns qualifient ainsi les autres au stade des entrevues. C’est qu’ils perçoivent le monde à travers leur univers. Pour arriver à un portrait de l’ensemble, de la situation, en dialogue, on combine les deux univers. On les met côte à côte. S’il s’avère qu’un fait empreint d’ambiguïté est crucial pour arriver à la résolution, on puise plus profondément pour s’approcher de la vérité.

En ce qui concerne les collectivités, dont plusieurs sont présentes dans la situation du projet d’amphithéâtre de la Ville de Québec, il s’agit d’appliquer les mêmes principes aux têtes dirigeantes, quitte à aller chercher la participation du grand public dans un encadrement convenable aux échanges, soit un dialogue, et non pas un débat. Les faits d’ordre technique, ceux qui font l’objet d’expertises, y compris la jurisprudence et la doctrine, exigent une attention particulière; ils sont toutefois les faits qu’on veut rendre accessibles aux décideurs, qui sont normalement des profanes.

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