Les multiples visages de l’équité salariale
Jeudi dernier, Stéphane a publié un intéressant billet sur une récente décision de la Cour d’appel. Ce jugement est fascinant à plusieurs égards; il y a évidemment la question centrale (c.-à-d. le droit d’implanter des programmes d’équité salariale distincts pour des groupes dénués de catégories d’emplois à prédominance féminine), mais la décision de la Cour est également importante en raison de l’analyse réalisée sur la question de la norme de contrôle et de la discussion portant sur les pouvoirs de la Commission de l’équité salariale. Nous reviendrons sur ces points dans un prochain billet de notre chronique sur le droit administratif.
Tout cela pour dire que le commentaire de Stéphane m’incite aujourd’hui à revenir sur une autre importante décision de la Cour d’appel en matière d’équité salariale, à savoir l’arrêt SSQ.
Cette décision a été rendue en mai 2011 (avant la création du blogue) et nous n’en avions donc pas parlé à l’époque, mais elle est suffisamment fondamentale pour qu’il soit encore opportun de l’examiner.
Résumons la problématique.
Comme vous le savez, la Loi sur l’équité salariale établit un cadre à l’intérieur duquel un employeur doit réaliser un exercice visant à mettre sur pied une structure salariale dénuée de disparités salariales fondées sur l’appartenance d’un(e) salarié(e) à une catégorie d’emplois à prédominance féminine.
Comme vous le savez également si vous avez réalisé un tel exercice récemment, la Loi est cependant quasi-silencieuse lorsque vient le temps d’aborder l’épineuse question de la structure précise de l’exercice qui doit être effectué. Ainsi, la Loi accorde notamment à l’employeur (ou au comité d’équité salariale, le cas échéant) une très grande discrétion dans l’élaboration des outils permettant l’évaluation des différentes catégories d’emplois et/ou l’estimation des écarts salariaux entre les catégories d’emploi à prédominance féminine et celles à prédominance masculine.
Or, en matière d’équité salariale (comme dans bien d’autres choses), the devil is in the details; inclure ou omettre un sous-facteur d’évaluation, adopter une pondération X plutôt qu’une pondération Y ou opter pour une évaluation par courbe normale par opposition à une évaluation par classes de points ((la Cour d’appel y réfère comme étant une évaluation par “regroupements naturels”) peut parfois faire la différence entre un programme dont les coûts d’implantation sont quasi-nuls et un programme dont les coûts d’implantation sont considérables.
Dans un tel contexte (et en l’absence de règles précises dans la Loi), comment choisir entre une approche X plutôt qu’une approche Y?
Selon nous, on peut répondre à cette question en se rappelant que l’objectif de la Loi sur l’équité salariale n’était pas d’imposer aux employeurs québécois une hausse injustifiée de leur masse salariale, mais plutôt d’éliminer les disparités salariales discriminatoires. Ainsi, on peut raisonnablement soutenir que, normalement, la méthode la plus respectueuse de l’esprit de la Loi est celle qui permet d’éliminer les disparités au moindre coût possible.
La décision de la Cour d’appel dans l’affaire SSQ est un pas majeur vers la reconnaissance de cet important principe.
Dans cette affaire (comme dans plusieurs autres), la SSQ et son syndicat avait simultanément entrepris des travaux d’équité interne et d’équité salariale et, dans le cadre de ces travaux, ils avaient décidé de conserver le même nombre de classes salariales pour les deux (2) processus (ce qui est fort cohérent puisque ça permet de maintenir en place la structure librement négociée par les parties et, partant, présumée adaptée à leur entreprise). Or, les classes salariales utilisées avaient été ajustées afin de refléter des “regroupements naturels” et les intervalles de points retenus variaient considérablement d’une classe à l’autre (c.-à-d. que la classe 1 avait un intervalle de 117 points, la classe 2 avait un intervalle de 54 points, la classe 3 avait un intervalle de 43 points, la classe 7 avait un intervalle de 199 points, etc. – la structure est citée dans la décision de la Cour supérieure).
Cependant, la Commission de l’équité salariale (au terme d’une enquête qui portait initialement sur autre chose… comme dans le dossier SAQ analysé par Stéphane) demande au comité de reprendre ses travaux parce qu’elle juge que la structure retenue n’est pas conforme à la Loi (c.-à-d. qu’elle serait, de façon inhérente, discriminatoire). La SSQ conteste avec succès cette demande devant la Commission des relations du travail (la décision est ici), laquelle considère à bon droit “qu’il n’existe pas de méthode qui offre de garanties absolues” et que “[s]i un biais sexiste s’est glissé dans la démarche, il appartenait à la CES d’en faire la démonstration”. En l’espèce, la Commission va d’ailleurs jusqu’à dire qu’il a été démontré que “ce sont les propositions théoriques, voire dogmatiques, de la CES [dans ce dossier] qui créent problème”.
La Cour supérieure (le jugement est ici) et la Cour d’appel (le jugement est ici) refuseront de renverser cette décision de la CRT.
Si je dis que je considère que la décision de la Cour d’appel est un pas majeur vers la reconnaissance du principe de l’adoption du programme non-discriminatoire au coût minimal, c’est parce qu’elle endosse le fait que, dans la mesure où la Commission de l’équité salariale (et, suivant la même logique, l’un ou l’autre des membres d’un comité d’équité salariale) n’est pas en mesure d’établir la nature discriminatoire d’un programme, celui-ci doit être présumé valide. Or, au-delà des dogmes établis, il est passablement rare qu’un programme mis sur pied au terme d’une évaluation systématique des emplois réalisée de bonne foi entraîne un résultat discriminatoire.
Dans un tel contexte, je ne peux que vous suggérez de toujours bien considérer l’ensemble de vos options dans vos dossiers d’équité salariale (elles sont nombreuses…). Il est possible que l’élimination des disparités salariales ait un coût pour votre entreprise, mais ce dernier ne devrait pas être le résultat d’une méthodologie indûment généreuse ou fondée sur des approches trop rigoristes.
Sur ce, je vous souhaite une excellente semaine.