Votre entreprise déménage? Dans quel état devrez-vous remettre vos locaux au bailleur?

Lors de la négociation d’un bail, les parties se concentrent surtout sur l’état des locaux au début du bail. Les améliorations locatives à effectuer sont habituellement décrites en détail et font l’objet de discussions dès la négociation de l’offre de location. Cependant, il faut également prévoir quelles seront les obligations du locataire en fin de bail quant à la remise des locaux au bailleur.

En temps normal, un bailleur qui utilise son bail type n’a pas à ce soucier de cette question parce que le bail sera habituellement rédigé en sa faveur (i.e. : le locataire devra remettre les locaux en bon état – sous réserve de l’usure normale –, enlever les améliorations locatives et réparer les dommages causés par l’enlèvement des améliorations locatives). De plus, si l’offre de location ou le bail sont silencieux sur la question de la remise des locaux à la fin du bail, le Code civil s’appliquera et ses dispositions favorisent le bailleur sur cette question (cf. art. 1890 et 1891 CCQ).

Cependant, si un locataire a un usage particulier nécessitant des aménagements qui ne sont pas standards (par ex. : voûte, escalier reliant deux étages, plancher surélevé, salle informatique, câblage hors de l’ordinaire), le bailleur voudra réviser sa clause type et préciser très clairement l’obligation du Locataire d’enlever ces éléments à la fin du bail.

À tout événement, compte tenu que la position de base impose des obligations au locataire, il est essentiel, du point de vue du locataire, d’aborder la question de la remise des locaux à la fin du bail.

Les éléments suivants devront être pris en compte :

I. La notion d’usure normale

Tant le Code civil que les clauses usuelles des baux prévoient que le locataire n’est pas tenu de réparer les dommages dus à l’ « usure normale » (ou « normal wear and tear »). L’usure normale est la détérioration matérielle d’un bien provenant d’une cause naturelle ou de l’usage que l’on en fait. Par exemple : marque laissée sur un mur par un fauteuil ou usure d’un tapis. Ceci signifie que le bailleur ne peut exiger que les locaux lui soient remis à l’état neuf, même lorsque l’immeuble était un bâtiment neuf au début du terme. La jurisprudence apporte un éclairage intéressant quant à deux aspects de ce concept, l’un étant en faveur du locataire et l’autre en faveur du bailleur :

Pro-locataire – L’ « usure normale » doit être comprise comme l’usure normale pour le type d’usage du locataire. Ainsi, dans une décision de la Cour supérieure du Québec de 2006 (Domaine de la jeunesse (1996) Inc. c. Procureur Général du Canada, CS 150-17-001009-056, 12 octobre 2006, J. Jean Lemelin, j.c.s.)., le bailleur a obtenu des dommages-intérêts par suite de l’occupation du terrain par la Défense nationale pour le camp d’été annuel des cadets de l’air. Cependant, le juge a diminué la réclamation du demandeur, statuant que le bailleur ayant accepté de louer aux fins des activités des cadets au cours de leurs vacances d’été, il devait prévoir que l’usure des lieux serait plus prononcée que si les lieux avaient été loués à des adultes. Par conséquent, un locataire de bureau ne pourra pas invoquer que des dommages aux colonnes dans ses locaux sont de l’usure normale mais un locataire d’un immeuble industriel dont l’usage inclut le transport de marchandise avec des chariots élévateurs le pourra (dans une mesure raisonnable).

Pro-bailleur – Le fardeau de preuve quant aux dommages qui constituent de l’usure normale revient au locataire. Ceci est lié à la présomption prévue au Code civil selon laquelle les lieux loués sont présumés avoir été reçus en bon état (sauf constatation contraire, par photographies, par exemple). De plus, la plupart des baux prévoient que le locataire accepte les lieux loués tels quels (« as is »), sauf certains travaux précis.

Dans certains cas, les parties devraient prévoir dans leur bail un engagement à réaliser un état des lieux conjoint au début de la durée du bail (avec photographies et/ou vidéo) et à la fin du bail.

II. Qu’entend-on par « remettre les lieux loués dans l’état où ils ont été reçus »?

Prenons l’exemple d’un local qui se présente à l’état brut (« à la dalle », ou « base building ») et dont les améliorations locatives (incluant, disons, une voûte ou un escalier) sont effectuées par le locataire, lorsque le locataire mandate le bailleur pour effectuer les travaux (un contrat de type « clé-en-mains »). Est-ce que l’obligation du locataire, en fin de bail, de remettre le local dans l’état où il l’a reçu signifie qu’il devra remettre un local « à la dalle » (« base building ») ou bien avec les améliorations locatives? Il n’y a pas de réponse péremptoire à cette question. Les parties ont donc intérêt à spécifier ce qui devra être enlevé à la fin du bail.

Une autre variante de ce type de clause prévoit que le locataire a l’obligation de remettre les locaux à la fin du bail dans l’état selon lequel il a l’obligation de les entretenir au cours du bail. On parle ici de l’état « de réparation » par opposition à l’enlèvement des améliorations locatives. Dans ce cas, il est important pour le bailleur de faire des vérifications en cours de bail. En effet, dans une décision d’octobre 2006 (Consoltex Inc. c. 155891 Canada Inc., 500-09-014545-040, 19 octobre 2006.), la Cour d’appel a réduit de 33% les dommages-intérêts accordés au bailleur en Cour supérieure, au motif que le bailleur n’avait pas, en cours de bail, demandé au locataire de faire les réparations nécessaires aux locaux afin de mettre fin à leur détérioration. Il y a donc une obligation sous-jacente qui impose au bailleur de protéger l’immeuble en cours de bail. Ceci découle de l’obligation du bailleur de minimiser ses dommages.

En conclusion, lorsque l’on négocie un bail, il est normal que le dernier de nos soucis soit la condition dans laquelle le locataire doit remettre les locaux à la fin du bail. Cependant, c’est une clause qui peut avoir d’importantes conséquences financières et il faut s’y attarder, peut-être pas toujours au moment de l’offre de location, mais certainement lors de la première révision du bail.

La clause idéale, pour le bailleur, stipulerait qu’à la fin du bail, le locataire lui rende les locaux en bon état de réparation et qu’il enlève les améliorations locatives et les biens du locataire ou à l’usage exclusif du locataire que le bailleur désignera (et qu’il laisse les autres sur place).

La clause idéale, pour le locataire, lui permettrait de laisser les locaux dans l’état où ils seront à la fin du bail, et d’enlever ce qu’il veut et de laisser ce qu’il veut en ce qui a trait aux améliorations locatives et aux équipements. Souvent, il est prévu que le locataire n’aura aucune autre obligation que de remettre les locaux après les avoir balayés (« broom clean »).

Selon les conditions du marché, les parties auront plus ou moins de jeu pour négocier ces dispositions mais « qui demande rien n’a rien ». De plus, c’est l’application de ces clauses qui compte. Si le bailleur a le droit de demander au locataire d’enlever des améliorations locatives et de faire des réparations mais qu’il ne procède pas à un examen des lieux avant le départ du locataire, il se trouve à renoncer de facto au bénéfice des clauses qu’il a négociées. Par ailleurs, le locataire qui ne documente pas l’usure normale de ses locaux par des photographies « avant » et « après » se nuit à lui-même car c’est sur lui que reposera le fardeau de démontrer que les dommages sont dus à de l’usure normale, s’il souhaite se prévaloir de cette exception.

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