Saine gestion, saine justice?

Je m’intéresse à cette question depuis longtemps. Au mois de mars 1982, j’assistais à une série de conférences spéciales du Barreau du Haut-Canada à Toronto: Corporate Law in the 80s. En juin 1979, j’étais devenu membre de ce Barreau et admis au barreau de la Cour suprême de l’Ontario (comme la Cour de Justice se nommait alors). L’appel par la magistrature à la réforme du système de traitement des différends venait d’être lancé en 1976. Une de ces conférences s’intitulait Management of Legal Disputes. Les conférenciers étaient un plaideur chevronné, Donald J.M. Brown, et un professeur du School of Business, York University, Peter H.R. Alley. Voir la publication ISBN : 0-88820-110-9, page 401.

Les conférenciers signalaient la distinction à faire entre un différend et un litige et affirmaient que le différend continuait à exister lorsqu’il était soumis aux cours de justice et là le différend en plus devenait un litige –  legal dispute. Il est bien connu que les gestionnaires gèrent les différends qui se présentent tandis que les gens de la justice administrent les litiges, un volet de l’administration de la justice prévue à la Constitution. Donc, les conférenciers introduisaient la gestion, une discipline distincte du droit, dans le monde juridique gouverné par une discipline autre, soit l’administration relevant de la discipline du droit. Pendant que les étudiants en droit à Osgoode Hall étudiaient des causes, les étudiants en gestion au School of Business étudiaient des cas.

Par la suite, cette interdisciplinarité a fait son chemin avec le résultat que la gestion se retrouve dans des textes de loi concernant la procédure civile de sorte qu’on commence à parler de la gestion des causes, des litiges et des dossiers. Petit problème : ceux qui étudiaient des causes n’étudiaient pas de cas et vice versa et les uns excluaient les autres de leur chasse gardée exclusive. Par exemple, les causes devant les tribunaux concernant le capitalisme ont-elles pu bénéficier de la gestion de cas tels que rapportés par Roger L. Martin, doyen du Rotman School of Management à l’université de Toronto, dans son livre Fixing the game – Bubbles, crashes, and what capitalism can learn from the NFL?

Par conséquent, la réforme par la voie de cette distinction entre la gestion et l’administration n’a pas encore atteint son potentiel, car la gestion souvent perd son sens dans l’administration de la justice par les gens de la justice et l’administration de la justice perd souvent son sens dans la gestion par les gestionnaires, même si à l’occasion le gestionnaire est aussi avocat et l’avocat est aussi le gestionnaire. Parfois, les avocats se prennent pour des gestionnaires et les gestionnaires se prennent pour des avocats. Les grandes sociétés ont leur propre bureau de Contentieux et les grands cabinets d’avocats ont leur propre bureau de gestion.

Le Groupe Interlex incluait des avocats et des gestionnaires dans un exercice d’intégration de disciplines pour effectuer une résolution des différends en profitant des meilleurs atouts de non seulement ces deux disciplines mais de nombreuses disciplines et traditions, car le défi de résolution de différends est de taille et exige la mobilisation de toutes nos énergies et connaissances tant du côté des sciences que du côté des arts. Voir Robert M. Pirsig, « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes ». Le résultat de cet exercice est connu par le vocable de dialogue pour faire la distinction avec le débat.

En 2002, l’Assemblée nationale du Québec, voulant effectuer un changement de culture, adopte une loi qui sera en vigueur le 1er janvier 2003 dans la réforme de la procédure civile au Québec. L’article 4.1 du code révisé, le code en vigueur présentement, deuxième paragraphe, prévoit ceci : « Le tribunal veille au bon déroulement de l’instance (éditeur – l’administration de la justice) et intervient pour en assurer la saine gestion (éditeur – la nouvelle discipline) ». Quelle est la signification des mots « la saine gestion »  dans ce contexte? Ces mêmes mots apparaissent dans l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile devant l’Assemblée nationale à l’heure actuelle.

Appliquant les règles de l’interprétation des lois, la saine gestion est probablement définie par « Exercer la saine gestion – Fondements, pratique et audit », 3e édition revue et augmentée, 2002 par Bernard Brault, F.Adm.A.,CMC en collaboration avec l’Ordre des administrateurs agréés du Québec. Voici un extrait de la préface de M. Thierry C. Pauchant, professeur titulaire de management aux HEC de Montréal, page xx.

« Les principes fondamentaux qui sont définis dans ce livre – la transparence, la continuité, l’efficience, l’équilibre, l’équité et l’abnégation – sont des principes d’éthique, des guides pratiques afin d’orienter l’action des administrateurs vers des solutions plus saines. »

Examinons très brièvement le premier principe. « La transparence regroupe des notions connues généralement sous les vocables de reddition de compte, d’honnêteté et d’exactitude de l’information transmise. » op.cit. page 61. Il me semble que ce principe dans le contexte du Code rappelle à l’ordre le système d’administration de la justice de la nécessité d’informations vraies et authentiques comme fondements des décisions et incite les acteurs à rechercher la vérité au-delà du débat en se transportant dans le domaine du dialogue conformément à l’éthique rigoureuse, par exemple, des scientifiques. Sinon, est-ce que les medias prendront la place des tribunaux? Voir la série d’articles dans The Gazette « Secret Society » du samedi l0 décembre 2011 et de la semaine suivante.

Ce rappel à l’ordre nous ramène aux moyens de promouvoir la coopération. «Un excellent moyen de promouvoir la coopération dans une société est d’apprendre aux gens à se préoccuper du bien-être d’autrui », Robert Axelrod, « Donnant, donnant » page 136. Dans le système des adversaires et de la contradiction, est-ce que les acteurs ont le moindre souci du bien-être d’autrui? Comment apprendre aux gens le respect? En posant des gestes concrets, à partir d’un système valorisant le souci de l’autre?

Dans le dossier de Kitcisakik et celui de Attawapiskat, ce sont les Architectes d’urgence du Canada et la Croix-Rouge qui nous montrent la piste de résolution. Il y a donc espoir que la saine gestion contribuera à la saine justice, mais il reste beaucoup de pain sur la planche. Il nous incombe d’agir dans ce sens.

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