La goutte qui fait déborder le vase…
On en discute souvent dans la jurisprudence et la doctrine, le recours collectif a beaucoup évolué au Québec depuis son introduction au cours des années 70. Initialement, les tribunaux se sont montrés excessivement restrictifs au stade de l’autorisation, plaçant la barre très (trop) haute pour les requérants. À travers les années, les tribunaux ont graduellement assoupli leur approche, encouragés par certains amendements législatifs, et le pendule a basculé de l’autre côté. Dans le processus, le Québec a acquis la réputation de paradis canadien des recours collectifs.
Reste que, contrairement à la croyance populaire, l’autorisation d’un recours collectif n’est pas un automatisme. Certes, les dés sont quelque peu pipés en faveur de la demande au stade de l’autorisation en ce sens que le doute favorise toujours celle-ci, que les faits sont tenus pour avérés et que la preuve que peut présenter la défense est limitée, mais il reste quand même en principe des questions épineuses à trancher.
Une de ces questions est celle de savoir si les “recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes” (art. 1003 (a) C.p.c.).
Comme pour les autres critères de l’article 1003, l’interprétation donnée par les tribunaux à cette exigence a beaucoup évoluée. On est passé de l’exigence que presque toutes les questions soient communes, à celle voulant que la majorité des questions soient ainsi, pour finalement en arriver à la formulation actuelle qui veut que des aspects importants du recours doivent se prêter à une détermination collective et que les questions communes ne sont pas noyées dans une mer de questions individuelles (Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46; Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380).
Or, le 29 février dernier, dans Dell’Aniello c. Vivendi Canada inc. (2012 QCCA 384), la Cour d’appel semble venir confirmer un changement substantiel dans l’appréciation à faire de ce critère.
Dans cette affaire, le requérant recherche, d’une part, l’annulation de la décision de l’intimée qui a modifié unilatéralement à la baisse le régime d’assurance maladie de ses employés et, d’autre part, le remboursement des coûts assumés par chaque employé en raison de cette modification. En première instance, la Cour supérieure a refusé d’autoriser le recours, citant, entre autres motifs, le fait que les questions individuelles sont trop excessives pour justifier l’autorisation du recours.
La Cour d’appel renverse cette décision, étant d’opinion que le recours aurait dû être autorisé. Sur la question de la prédominance des questions individuelles, la Cour s’éloigne de la jurisprudence prédominante et s’appuie plutôt sur la lignée qu’elle a adoptée dans une décision de 2011. Pour satisfaire au critère de l’article 1003 (a), il serait suffisant qu’il existe une seule question collective, dans la mesure où cette question n’est pas insignifiante.
Respectueusement, cette approche paraît excessive. L’objectif de l’article 1003 (a) est d’assurer que le recours autorisé ne donne pas lieux à une situation où les questions individuelles sont si nombreuses et si importantes qu’il crée finalement plus de difficultés qu’il n’en résout. Cet objectif semble escamoté si l’on adopte le test de la question unique qui n’est pas insignifiante. Qui plus est, l’interprétation législative à laquelle procède la Cour d’appel se heurte manifestement au libellé clair et simple de l’article. En effet, il est difficile de concevoir comment une question unique non-insignifiante est suffisante lorsque le législateur a édicté qu’il était nécessaire que les “recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes“.
À mon avis, le pendule est rendu beaucoup trop loin. L’on ne sert pas la saine administration de la justice en créant des recours où, après des années passées devant les tribunaux et la dépense d’une petite fortune, on a réglé seulement une question non-insignifiante.
Reste que c’est la position qu’a adopté la Cour d’appel et, à moins que la Cour suprême intervienne dans le débat, c’est maintenant l’état du droit au Québec. On facilite donc grandement l’autorisation des recours collectifs.