Amiante dans les immeubles commerciaux de Montréal : vers une plus grande transparence ?
La plupart des gens qui travaillent dans le domaine de l’immobilier commercial à Montréal savent qu’il y a de l’amiante dans plusieurs immeubles, que ce soit dans les grandes tours du centre-ville, dans les immeubles du Vieux-Montréal, dans les centres commerciaux ou ailleurs. Cependant, il n’y a pas de registre indiquant quels immeubles contiennent de l’amiante et quels immeubles en sont exempts, et les propriétaires ne sont pas nécessairement enclins à faire étalage de la situation.
En pratique, les gestionnaires immobiliers, les courtiers et les autres professionnels impliqués dans des transactions de location considèrent qu’il s’agit surtout d’une question de santé au travail lorsqu’il y a des travaux de construction, et qu’il est suffisant de suivre les règles de la CSST applicables aux chantiers en présence d’amiante. Cela risque de changer, avec la multiplication de reportages accablants pour l’industrie de l’amiante et d’articles tels que celui-ci et celui-ci, qui font état de risques pour la santé des travailleurs autres que ceux de la construction, de registres (secrets, pour le moment) d’immeubles publics contenant de l’amiante, et de la réglementation existante en Ontario, selon laquelle propriétaires de bâtiments :
« (…) doivent faire une inspection complète et établir que leur bâtiment ne contient aucun matériau fabriqué avec de l’amiante. S’ils découvrent de tels matériaux, ils doivent en évaluer l’état et intervenir si nécessaire, en les réparant ou en les retirant. Les propriétaires doivent de plus aviser les occupants de la présence d’amiante. »
Qu’en est-il au Québec en ce moment? Même en l’absence d’une loi spécifique à ce sujet, la divulgation de la présence d’amiante dans un immeuble devrait être chose courante, en vertu de l’obligation de bonne foi prévue au Code civil, car la bonne foi a comme corollaire l’obligation d’information que se doivent les co-contractants. Ceci signifie que le bailleur et le locataire doivent s’informer mutuellement de toute situation qui peut avoir une incidence sur les attentes normales de l’autre partie.
Par conséquent, si un bailleur n’informe pas le locataire de la présence d’amiante dans l’immeuble loué, il prend un risque car le locataire qui découvrirait ensuite de l’amiante dans l’immeuble pourrait invoquer qu’il n’aurait pas signé le bail s’il avait su qu’il y avait de l’amiante dans l’immeuble. Il découle de ce qui précède que :
(i) Les bailleurs devraient informer les locataires de la présence d’amiante dans leurs immeubles.
(ii) Les locataires devraient demander une déclaration du bailleur à l’effet que l’immeuble ne contient pas d’amiante. S’il en contient, le locataire devrait obtenir du bailleur une description du type d’amiante dont il s’agit et de sa localisation, et obtenir les conseils d’experts en la matière.
Cependant, même si, en principe, le Code civil impose un devoir de transparence aux bailleurs, la controverse politico-scientifique qui fait que le Canada et le Québec, producteurs d’amiante, s’opposent à l’inclusion de l’amiante dans les listes de substances dangereuses, et se font les champions mondiaux de cette industrie, brouille un peu les cartes, sur le plan juridique. Dans cette veine, il y a même de la jurisprudence à l’effet que la présence d’amiante ne constitue pas un vice caché dans le cas de la vente d’un immeuble. Voir aussi ceci.
Néanmoins, tel qu’il appert de ce bulletin de l’ACAIQ (maintenant l’OACIQ; voir page 3 du bulletin), les courtiers ont l’obligation de déceler tout élément défavorable affectant l’immeuble faisant l’objet d’une transaction, et les vendeurs peuvent devoir remplir des déclarations exhaustives concernant leur immeuble, dont la présence d’amiante.
Bref, ce n’est pas tout blanc ou tout noir, sur le plan juridique, car il est difficile de prouver que l’amiante constitue un risque pour la santé, ce risque variant selon les circonstances (quantité et concentration, type d’amiante, endroit, impact sur les travaux du locataire et les lieux loués, qualité de l’air), et les problèmes de santé pouvant prendre plusieurs années avant de se manifester. Par exemple, s’il y a un peu d’amiante non friable au sous-sol dans la salle de fournaise et que le locataire loue des espaces de bureaux au 23e étage, le bailleur pourrait prétendre qu’il n’avait pas l’obligation de déclarer la présence d’amiante, vu le peu d’impact que cela aurait pu avoir sur les attentes du locataire.
Toutefois, les attentes d’un locataire basé en Europe ou aux États-Unis, ou même en Ontario, ont de fortes chances d’être différentes de celles d’un locataire basé au Québec. En effet, dans ces juridictions, l’attitude face à l’amiante est moins permissive qu’au Québec, et il existe des lois qui obligent les bailleurs à divulguer la présence d’amiante dans leurs immeubles. Ces entreprises sont plus frileuses à l’idée de s’exposer à des réclamations éventuelles de la part de leurs employés, ni au risque réputationnel lié à la présence d’amiante dans leurs installations.
La présence importante d’entreprises étrangères comme locataires de bureaux et de centres commerciaux au Québec aura-t-elle une influence sur l’attitude des bailleurs? Ou est-ce plutôt la controverse autour de la relance de la mine Jeffrey d’Asbestos qui, après des années de banalisation, fera évoluer les mentalités et la législation vers une plus grande transparence?