L’affaire Indigo et la discrétion du juge
Affaire Indigo : La Cour d’appel maintient le jugement de la Cour supérieure – Archambault ne pourra exploiter son commerce au Quartier DIX30 selon la clause d’exclusivité prévue au bail d’Indigo.
En effet, la Cour d’appel, le 6 février 2012, dans l’affaire Immeubles Régime XV inc. c. Indigo Books & Music Inc., (2012 QCCA 239) confirma que la preuve testimoniale était admissible face à l’interprétation d’un texte ambigu afin d’en connaître la réelle intention des parties lors de sa conclusion et rejetta l’appel.
Les faits de l’affaire en première instance :
Rappelons les faits de cette affaire. Indigo demanda l’émission d’une ordonnance en injonction sur la base de la clause d’exclusivité contenue dans son bail, le tout, afin d’interdire que le bailleur loue un emplacement dans le Quartier DIX30 à Archambault. Ladite clause d’exclusivité se lit comme suit :
“Provided that the Tenant is not in material default under the Lease and is itself operating in the entire Leased Premises (including with any permitted licensee or subtenant operating from time to time within the Indigo concept, such as a coffee shop or wine bar in the Leased Premises in accordance with this Lease), the Landlord shall not lease, nor allow to be leased, any other premises in the Centre or any adjacent lands eventually acquired by the Landlord, as the case may be, to any tenant whose principal use is the sale of books (the “Exclusive Use“). Notwithstanding the foregoing, the Exclusive Use shall not apply (i) to any single tenant for premises of fifty thousand (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord or (ii) to any single user as purchaser of lands of fifty thousand (50,000) square feet or more located on such adjacent lands eventually acquired by the Landlord.
Any exclusive right granted to the Tenant under this section shall be deemed to be a personal right of the Tenant and shall not be assignable or transferable by the Tenant nor shall it pass to or devolve upon any other assignee or transferee of this Lease or of the rights granted thereby or subtenant of the whole or a portion of the Leased Premises unless the Lease is duly assigned or the Leased Premises are sublet to a comparable operator such as but not limited to Archambault or Barnes & Noble.”
Le bailleur invoqua qu’Archambault pouvait exploiter son commerce puisque la clause d’exclusivité d’Indigo est pour l’activité principale de la vente de livres alors que la clause d’usage contenue dans la lettre d’intention du Groupe Archambault limite la vente de livres et se lit comme suit :
«Exploitation du commerce de vente au détail de la bannière Archambault avec limitation de 25 % de ses revenus bruts mensuels en vente, location ou distribution de livres et billets de spectacles, et 25 % de l’inventaire en magasin. ».
Le juge de la Cour supérieure Benoît Emery en première instance dans 2010 QCCS 1106 en était venu à la conclusion que la clause d’exclusivité contenue au bail d’Indigo était ambigüe d’où l’on devait recourir aux règles d’interprétation afin de rechercher l’intention des parties lors de la conclusion de l’entente. Le juge admit donc en preuve des négociations précontractuelles afin de confirmer l’intention des parties où il avait été clairement spécifié par Indigo que la cohabitation avec Archambault n’était pas acceptable et que le bailleur se devait de choisir entre l’un ou l’autre. Le juge Emery accueilli donc l’ordonnance en injonction visant à interdire au bailleur de louer un emplacement à Archambault dans la Phase III du Quartier DIX30 tant et aussi longtemps que le bailleur sera lié à Indigo selon les termes du bail intervenu entre les parties.
Bien qu’à première vue la clause d’exclusivité semblait claire, le juge se posa plusieurs questions quant à la façon de déterminer l’évaluation de l’activité principale d’un commerce, d’où le caractère ambigu de la clause. Voici les questions que le juge se posa :
- en fonction de la superficie du magasin consacrée aux livres?
- en fonction de la façon dont le commerce s’affiche au public? (prédominance ou importance des termes « vente de livres » sur une enseigne ou dans la publicité)
- en fonction du pourcentage du volume de ventes brutes de livres?
- pourcentage des profits nets?
- l’ensemble de ces facteurs?
- doit-on aussi tenir compte des ventes de livres par internet?
- quel pourcentage doit-on retenir pour déterminer ce qu’est l’activité principale?
- le pourcentage d’inventaire de livres se calcule-t-il en rapport avec tous les livres vendus ou simplement les livres francophones?
La Cour d’appel
La Cour d’appel rappela que «La détermination du caractère clair ou ambigu d’un contrat est un processus discrétionnaire qui donne au juge saisi de l’interprétation du texte un degré certain de latitude pour décider de cette question» et ajouta « En conséquence, une cour d’appel doit faire preuve de retenue et de déférence envers l’appréciation du juge d’instance puisqu’il s’agit d’une question de fait. ».
La Cour d’appel ajouta aussi que le juge de première instance avait plutôt recherché, face à un texte ambigu, quelle était la commune intention des parties, alors qu’au contraire le bailleur recherchait l’interprétation littérale d’un texte ambigu et donna raison au juge Emery, puisqu’il a réconcilié la volonté des parties à l’écrit instrumentaire qui aurait dû le constater.
La Cour d’appel dans son jugement reproduisit les questions que le juge Emery se posa quant au caractère ambigu de la clause et précisa qu’elles sont demeurées sans réponse démontrant ainsi l’ambiguïté du texte.
Ainsi, face à un texte ambigu, tendre à rechercher l’intention des parties conformément aux règles d’interprétation selon les articles 1425, 1426 et 2864 C.c.Q. est un exercice des plus conformes, puisque la détermination du caractère clair ou ambigu d’un contrat est un processus discrétionnaire quant à l’appréciation du juge de première instance, puisqu’il s’agit d’une question de fait qui s’étudie au cas par cas.
En conclusion
Bien qu’un texte semble clair, si le juge en vient à la conclusion qu’il est ambigu, ce dernier à toute la latitude voulue afin de recourir à la preuve testimoniale pour connaître la réelle intention commune des parties lors de sa conclusion.