Jugement récent : La Cour d’appel porte un dur coup aux agences de professionnels et aux professionnels contractuels

Par son jugement rendu le 17 juillet dernier dans l’affaire Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec (que vous pouvez lire en cliquant ici), le Cour d’appel du Québec a porté un dur coup à la possibilité de qualifier, sur le plan fiscal, des professionnels dont les services sont loués à honoraires (d’une agence ou directement d’eux-mêmes), comme étant des travailleurs autonomes et non des salariés.

Agence Océanica inc. est une agence d’infirmières dont, dans les mots mêmes de la Cour d’appel, les activités peuvent être décrites comme suit :

 « [14]    L’appelante agit à titre d’intermédiaire entre son client et le personnel infirmier recommandé. Le client contacte l’appelante et l’informe de ses besoins. Le prix des services est convenu entre le client et l’appelante. Cette dernière recrute alors une personne qualifiée pour combler les besoins identifiés par son client. Cette personne se présente au lieu de travail fixé, à la date et à l’heure convenues. Elle exécute les tâches qui lui sont confiées par le client. Elle applique ses directives et se conforme aux protocoles de soins établis par l’établissement de santé. 

[15]         Après la prestation de travail, l’appelante facture son client selon le prix convenu. Elle ajoute un montant pour générer son profit »

La preuve a aussi démontré que les infirmières placées par Agence Océanica inc. (a) n’avaient pas de contrat écrit avec elle, (b) étaient libres d’accepter ou de refuser un placement chez un client, (c) assumaient elles-mêmes les dépenses liées à l’exercice de leur profession, dont les cotisations professionnelles, les uniformes, les chaussures et les petits équipements, tels les stéthoscopes, (d) n’étaient liées par aucun engagement de non-concurrence ou de non-sollicitation, (e) ne recevaient aucune directive de Agence Océanica inc. pour l’exécution de leur travail, et (f) remettaient le relevé de leurs heures travaillées de façon informelle (souvent par fax).

Par contre, la Cour supérieure ainsi que la Cour d’appel ont relevé que ces infirmières (a) exécutaient les tâches assignées par le client, (b) appliquaient les directives du client, (c) se conformaient aux protocoles de soins établis par les clients, (d) recevaient leur rémunération sans possibilité de faire des profits et sans risque de perte, (e) étaient rémunérées sur la base d’un montant forfaitaire par quart de travail, et que les clients (i) leur fournissaient tous les équipements (à l’exception des petits équipements personnels) et les produits nécessaires à leur travail, (ii) déterminaient les méthodes de travail et (iii) supervisaient leur prestation de travail.

Devant ces faits, la Cour d’appel a été appelée à répondre aux deux questions suivantes : (a) ces infirmières étaient-elles des travailleuses autonomes ou des salariées aux fins des lois fiscales (avec comme conséquence que, si elles étaient des salariées, leur employeur était tenu de faire les déductions et cotisations prescrites par la loi sur leur rémunération)? et, (b) si ces infirmières étaient des salariées, qui, de l’Agence Océanica inc. ou de ses clients, était leur employeur tenu de remettre ces déductions et cotisations?

Après une analyse complète de la doctrine et de la jurisprudence, la Cour d’appel a conclu, en réponse à la première question, que les infirmières placées par l’Agence Océanica inc. étaient bien des salariées, et non des travailleuses autonomes.

Pour en arriver à cette décision, la Cour d’appel s’est surtout fondée sur l’inexistence d’une chance de profit ou d’un risque de perte et sur le fait que, une fois que l’infirmière avait accepté une assignation, elle effectuait son travail sous la direction et le contrôle du client de la même façon que les employées des clients (que ces infirmières remplaçaient temporairement), faisant en sorte que, selon la Cour d’appel : «  Les facteurs de l’intégration complète d’une personne dans la structure organisationnelle du client tant au point de vue hiérarchique, des protocoles de soins à observer, de l’assignation du travail, de l’horaire de travail, de l’évaluation du travail, etc. permettent de conclure à l’existence d’un contrat de travail. De plus, les éléments caractéristiques du contrat de service – libre choix des moyens d’exécution, du rythme d’exécution, risque de perte et chance de profit, etc. – sont absents. »

En second lieu, tout en reconnaissant que, sur le plan du droit civil et aux fins d’autres lois (dont le Code du travail et la Loi sur les normes du travail), il est possible que les employeurs de ces salariées soient les clients de l’agence plutôt que l’agence elle-même (puisque ce sont les clients qui gèrent et supervisent le travail), la Cour d’appel a conclu que, aux fins des lois fiscales, l’employeur était la personne qui versait un salaire à un salarié, donc, dans ce cas-ci, l’Agence Océanica inc. qui, selon ce jugement, était l’employeur ou à tout le moins son mandataire et, à ce titre, tenue de prélever et de remettre les cotisations de nature fiscale sur la rémunération versée à ses salariées.

Enfin, la Cour d’appel a aussi rejeté l’argument de l’Agence Océanica inc. à l’effet que, en raison de la prescription acquise, elle ne pourrait récupérer de ses infirmières la portion imputable à l’employée de ces cotisations.

Les cotisations adressées par l’Agence du revenu du Québec à l’Agence Océanica inc. totalisant plus de 165 000$ pour les seules années 2007 et 2008 ont donc été maintenues.

Les critères utilisés par la Cour d’appel dans ce jugement pour pouvoir qualifier un professionnel de travailleur autonome plutôt que de salarié s’appliquent à toutes les situations où les services d’un tel professionnel sont retenus, à plein temps ou à temps partiel, à long terme ou temporairement, que ce soit directement du professionnel lui-même ou par l’intermédiaire d’une agence ou d’un service de remplacement temporaire.

Lorsqu’un tel professionnel doit être rémunéré par voie d’honoraires (sans déductions fiscales), il est donc important (a) de bien s’assurer du fait que le professionnel rencontre bien les critères reconnus par la loi et la jurisprudence pour se qualifier comme travailleur autonome (ce qui, comme on peut le constater de ce jugement, est relativement difficile), et (b) d’inclure au contrat des clauses spécifiques traitant du risque que les autorités fiscales contestent cette qualification (afin notamment de convenir des responsabilités de chacun au chapitre des frais légaux, des cotisations, des pénalités, des intérêts et des autres coûts pouvant découler d’une telle contestation et du débat juridique qui pourrait en résulter).

Je vous invite à me contacter (par courrier électronique à jhgagnon@jeanhgagnon.com ou par téléphone au 514.931.2602) pour toute question ou tout commentaire.

Jean

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