Changement du jeu, changement de culture

La théorie du jeu est une expression mathématique impossible pour le profane à saisir parfaitement. Il faut compter sur les mathématiciens pour la preuve. Voir The Britannica Guide to Statistics and Probability.  Cette théorie fait partie de l’approche d’appliquer la mathématique à l’économie pour arriver à des modèles économiques et se situe également dans le même ordre d’idées que la logique de Charles Sanders Pierce. Voir Reasoning and the Logic of Things.

Von Neumann, le grand manitou de la théorie du jeu, a servi d’inspiration pour le personnage du Dr Strangelove joué par Peter Sellers dans le film de Stanley Kubrick Dr. Strangelove or : How I Learned to Stop Worrying and  Love the Bomb. Von Neumann avait proposé le déclenchement d’une guerre nucléaire par les États-Unis contre l’Union soviétique. Voir William Poundstone, Prisoner’s Dilemma et Ivars Peterson, The Mathematical Tourist.

Toutefois, la théorie du jeu s’est inspirée de jeux à la portée du commun des mortels, par exemple le jeu d’échecs, le poker, le hockey, le football, le golf, le tennis, etc. Ce sont tous là des jeux que le profane peut comprendre et où il peut se servir de son gros bon sens, facteur que la mathématique exclut de ses calculs. Parfois, pour connaître la météo, il suffit de regarder par la fenêtre.

Tout le monde peut se rendre compte que c’est impossible de jouer au tennis sur un terrain de golf, même si des gens comme Douglas Hofstadter réfléchit sur de telles possibilités, par exemple jouer aux échecs sur un autre échiquier que l’échiquier conventionnel – voir « Le Ton beau de Marot ». Normalement, les gens qui se présentent sur le terrain de tennis avec leur sac de golf vont se voir refuser l’accès au terrain.

Supposons qu’on examine la situation d’une cause à la Cour avec l’optique du jeu. Est-ce qu’on peut discerner un jeu? Oui, à condition qu’on soit conscient qu’il existe d’autres jeux pour les fins de contraste et de comparaison. Un golfeur, même un mordu, qui habite une maison au bord d’un terrain de golf, est conscient qu’il y a d’autres jeux que le golf.

En matière de causes à la cour, on n’est pas vraiment conscient du jeu, sauf que la magistrature a déjà posé la question : mais, est-ce qu’il n’y a pas un meilleur jeu ( « Isn’t there a better way ? », discours célèbre du juge en chef des États-Unis en 1976), ce qui a incité la recherche pour soit découvrir, soit concevoir un jeu différent et meilleur.

Une réponse entre autres a été de réunir un groupe pluridisciplinaire, un groupe incluant non seulement des professionnels et des chefs d’entreprises mais aussi des autochtones, pour se pencher sur la question.

Premier constat : le jeu conventionnel, c’est un débat, un débat judiciaire, un débat parlementaire, un débat tout court. Ça ne prend pas un grand clerc pour connaître le nom de ce jeu puisqu’il porte son nom : débat en bonne et due forme.

Deuxième constat : il y a non seulement un autre jeu mais aussi plusieurs autres jeux, par exemple la diplomatie. En effet, il y a autant de jeux possibles que de causes en combinant les éléments de la justice pour les fins de la cause. On donne le nom de « dialogue » collectivement à ces autres jeux.

Il s’agit donc à la fois de la rénovation du jeu du débat et de l’innovation des jeux du dialogue et de l’intégration des deux dans un seul système d’administration de la justice.

Le débat est très proche de la guerre : dé-battre. Souvent, les joueurs emploient des termes guerriers, par exemple ils parlent d’une bataille judiciaire. Le dialogue nous éloigne davantage de la guerre. En plus de décider d’arrêter le combat et de se parler, on décide de travailler ensemble du même côté pour trouver la sagesse, le gros bon sens. Voir Beyond Self-Interest, édité par Jane J. Mansbridge, notamment le chapitre 18 Mothering versus Contract.

Qui dit changement du jeu dit changement de culture, changement de paradigme.

Si des joueurs de tennis veulent à un autre moment jouer au golf, il faut qu’ils changent de comportement et d’équipement afin de se conformer aux règles du jeu de golf, d’être en mesure de jouer et d’avoir accès au terrain. Les joueurs de tennis devront aussi apprendre le nouveau jeu, le cas échéant. Le terrain de jeu du débat est au Palais de Justice, mais où se situe le terrain de jeu du dialogue?

Le ministre de la Justice vient de déposer un avant-projet de loi afin de nous doter d’un nouveau Code de procédure civile. Cet avant-projet fera l’objet de travaux parlementaires au cours des mois à venir. À première vue, il s’agit d’une refonte de la loi actuelle, une simplification, « streamlining », la rénovation du débat, car l’arbitrage, la médiation, la négociation, le règlement hors de cour font tous partie du système de réconciliation par le jeu de la contradiction et du débat.

Par respect pour le Ministre et pour tous ceux et celles qui ont produit l’avant-projet, je me ferai un devoir de le lire intégralement avec un esprit ouvert, positif et constructif dans l’espoir que ces mesures donnent accès à la justice pour tous.

Quand j’entreprends la lecture d’un document dense, je me pose au moins une question et j’y cherche la réponse. Dans ce cas-ci,  ma question sera la suivante : est-ce que l’innovation, c’est-à-dire le changement du jeu, de culture et de paradigme, sera au rendez-vous afin d’éviter le sort de la réconciliation dans la Loi sur le divorce?  Il me semble qu’après tant d’efforts à travers une trentaine d’années, l’innovation, une vraie modernisation s’impose.

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