La CSN, la minijupe et la négociation collective
Les sondages, c’est comme la minijupe, ça fait rêver mais ça cache l’essentiel. (Alexandre Sanguinetti)
La semaine dernière, la CSN a diffusé un communiqué de presse (repris dans certains médias, dont ici – le communiqué lui-même étant ici) intitulé “Syndicalisation dans les Couche-Tard : Les Québécois appuient les salarié-es dans leurs revendications”.
Curieux de savoir ce que j’appuyais inconsciemment, j’ai pris un instant pour lire la prose du relationniste de la CSN (et, ultérieurement, le sondage auquel il réfère, lequel fut réalisé par la firme CROP) et, cette lecture m’ayant rappelé deux (2) préceptes utiles en négociation collective, je me permets de les partager sommairement avec vous.
1) Il est souvent hasardeux de négocier sur la place publique.
Évidemment, par l’envoi de son plus récent communiqué, la CSN ne fait pas que négocier sur la place publique (puisqu’elle veut véritablement négocier AVEC le soutien du public), mais c’est clairement l’une des facettes de son action. Or, si l’on exclut la réalité très particulière des conflits par les secteurs publics, parapublics et péripublics, cela n’est généralement pas recommandé.
En effet, lorsque l’on négocie sur la place publique, on démontre, dans un premier temps, que la négociation traditionnelle (c.-à-d. celle à portes closes) ne fonctionne pas et que l’on est dans une situation de faiblesse (comme dirait l’un de mes associés, chien qui aboie ne mord pas).
Qui plus est, on s’adresse rarement à la bonne personne (puisque, contrairement à celle d’une institution publique, la direction de Couche-Tard est peu susceptible d’être affectée par les humeurs de la population) et ce, alors même que notre démarche risque d’antagoniser notre véritable vis-à-vis. Or, que l’on le veuille ou non, on devra s’entendre avec lui un jour ou l’autre et l’insulter sur la place publique est probablement peu susceptible de nous rapprocher de notre objectif.
Finalement, notre sortie publique risque de cristalliser les attentes de nos propres mandants et ce, alors même que l’on sait déjà que l’on aura de la difficulté à remplir tous les paramètres de notre mandat initial. On restreint donc notre capacité à faire preuve de souplesse et, puisque la rigidité injustifiée est l’une des principales causes de conflits, on se positionne très bien pour échouer nos négociations.
2) Négocier, c’est l’art du possible (par opposition à celui du souhaité) (ou, comme dirait Chester L. Karrass, in business, you don’t get what you deserve, you get what you negotiate)
Le communiqué de la CSN indique que plus de 80% des québécois seraient favorables à l’octroi de jours d’absence-maladie rémunérés ou d’augmentations de salaire aux salariés de Couche-Tard et, de fait, le sondage démontre que les personnes ayant répondu au sondage se sont majoritairement déclarées favorables à ces demandes syndicales. Il n’en fallait pas plus pour que monsieur Bergeron-Cyr, le vice-président de la Fédération du commerce de la CSN déclare que “le sondage montre clairement que les demandes formulées par les salarié-es de Couche-Tard sont justifiées”.
Si monsieur Bergeron-Cyr avait dit que le sondage montrait clairement que les éléments demandés étaient désirés ou souhaités par une majorité de québécois, j’aurais été entièrement d’accord avec lui; il y a cependant une différence énorme entre ce que l’on souhaite, ce qui est justifié ou raisonnable et ce que l’on obtient en négociation.
Nous sommes tous en faveur de l’octroi de meilleures conditions de travail à nos concitoyens. Demandez-moi si, toutes choses étant égales par ailleurs, mon voisin (ou n’importe qui d’autre) devrait gagner 10,000$ de plus par année et ma réponse sera : bien sûr… pourquoi pas? De fait, je suis persuadé que la direction de Couche-Tard serait favorable à l’octroi de conditions de travail bonifiées à son personnel si cela lui permet de demeurer compétitive. Mais (et c’est là la différence entre le souhaité et le possible), je ne crois pas que, dans un univers où les marges de profit sont minuscules et où la compétition n’est pas véritablement connue pour la générosité de ses conditions de travail, Couche-Tard puisse véritablement demeurer compétitive très longtemps en augmentant substantiellement ses coûts de main-d’oeuvre.
En effet, si elle augmente ses coûts de main-d’oeuvre, elle devra rapidement augmenter le coût de ses produits et, puisque ses compétiteurs n’auront pas les mêmes frais d’opérations, qu’ils n’auront donc pas à augmenter leurs prix et que vous ne voulez pas payer plus cher pour vos achats, vous irez faire vos courses ailleurs et Couche-Tard perdra graduellement des parts de son marché. Couche-Tard ne peut donc pas raisonnablement donner suite à toutes les demandes de la CSN.
En fait, si la CSN avait véritablement voulu démontrer que la population québécoise la soutenait dans ses demandes, elle aurait dû demander à CROP de faire son sondage en ajoutant, au début de chaque question, la mention du coût que cette demande est susceptible d’avoir sur le consommateur. À titre d’exemple, on aurait pu demander aux participants : si cela entraîne une hausse du coût de votre paquet de cigarettes, de votre pinte de lait ou de votre caisse de bières d’environ 5%, seriez-vous favorable ou défavorable à l’octroi de jours d’absence-maladie rémunérés aux salariés de Couche-Tard? Quelque chose me dit que les réponses auraient possiblement été différentes…
De toute façon, la négociation collective n’est pas un exercice de popularité et, comme dirait Warren Buffet, un sondage n’est pas un substitut à la réflexion. C’est un processus ancré dans les réalités concrètes du marché du travail et de l’industrie concernée; une démarche où les salariés usent de leur rapport de force pour négocier le meilleur résultat possible à l’intérieur du cadre plus large fixé par l’économie elle-même. Un syndicat qui tente d’en faire plus et de redéfinir un secteur de l’économie par la négociation collective connaîtra généralement peu de succès.
Sur ce, je vous souhaite une excellente semaine et, pour ceux que la négociation collective intéresse, je me permets de souligner deux petits ouvrages intéressants : le premier, plus académique, est l’Initiation à la négociation collective de Jean Sexton (PUL, 2002); le second, plus romantique (et traitant de l’art de la négociation dans un contexte historique intéressant), est Saint-Germain ou la négociation de Francis Walder (notamment dans la collection Folio de Gallimard).