Les tribunaux québécois ouvrent une porte qu’on croyait fermée…
Lors de la réforme de la procédure civile de 2003, le législateur québécois avait décidé de s’attaquer, en matière de recours collectif, à un mécanisme d’autorisation qui était devenu selon lui trop complexe et encombrant. En effet, on voulait éviter que l’autorisation soit le théâtre d’un mini procès au mérite de l’affaire. Le législateur a donc pris les grands moyens en retirant la nécessité pour la demande de déposer un affidavit et en soumettant le dépôt de quelque preuve que ce soit à la permission de la Cour.
Comme c’est généralement le cas, les tribunaux québécois ont d’abord adopté la ligne dure et été très sévères à l’égard des demandes de permission de produire de la preuve à l’autorisation, allant même jusqu’à refuser le dépôt d’une certaine preuve lorsque toutes les parties s’entendaient pour le faire. Graduellement, cette approche rigide s’est errodée et les tribunaux québécois en sont venus à permettre à la défense de produire la preuve nécessaire pour “compléter le portrait” tracé par la requête en autorisation, i.e. fournir au juge saisi de l’autorisation un contexte factuel approprié pour qu’il puisse apprécier correctement la question de savoir si la demande satisfaisait le critère de l’apparence de droit.
On semblait donc avoir atteint un certain équilibre. La défense ne pouvait pas plonger dans le mérite de l’affaire en contestant la véracité des allégations de la requête en autorisation, mais elle pouvait compléter et encadrer celles-ci.
Cependant, la Cour supérieure semble récemment avoir ouverte la porte plus grande en ce qui a trait à la preuve au stade de l’autorisation. En effet, dans l’affaire Benoit c. Amira Entreprises inc. (2012 QCCS 351), l’Honorable juge Nicole-M. Gibeau permet expressément une preuve de la défense au stade de l’autorisation destinée à démontrer la fausseté des allégations faites dans la requête en autorisation. Si cette tendance se maintient, il s’agira d’un changement majeur en matière d’autorisation de recours collectif.
Le lecteur de ce billet pensera sûrement que, en tant qu’avocat qui pratique presque exclusivement en défense, je devrais me réjouir de ce développement jurisprudentiel. Il n’en est pourtant rien. Le principe appliqué dans l’affaire Benoit ouvre la porte à un retour à la situation pre-2003 où les auditions des requêtes en autorisation étaient de véritables procès. Un tel retour amenèrait probablement le législateur (ou la Cour d’appel) à intervenir encore une fois et dicter des règles encore plus strictes eu égard à la preuve qui peut être déposée au stade de l’autorisation.
Le but de mon propos n’est pas de paraître alarmiste. Je suis conscient qu’il s’agit d’une décision qui s’inscrit pour l’instant dans un courant minoritaire. Qui plus est, hormis son énoncé de principe où elle indique que la preuve contradictoire est permissible au stade de l’autorisation, la juge Gibeau se montre sommes toute assez limitée quant à la preuve qu’elle permet dans l’affaire Benoit. Reste qu’il faut se garder, dans l’intérêt de tous les acteurs du système judiciaire, de retourner à la situation qui prévalait jadis. Or, il me semble qu’on vient justement de rouvrir cette porte, aussi discrête soit la brèche…