En rafale : THQ, Ville de Montréal-Est, Groupe LJP inc. et al.

Compte tenu de ma (trop?) longue envolée lyrique de la semaine dernière (ne disent-ils pas que ce qui vaut la peine d’être fait mérite d’être bien fait?), j’adopte cette semaine le style “Fred la mitraille” (picturing myself riding shotgun with my Thompson in an old Buick Series 40…) [1] pour traiter en rafale de quatre (4) décisions récentes susceptibles d’intéresser ceux et celles qui oeuvrent en droit du travail et de l’emploi.

A) THQ Montréal inc. c. Ubisoft Divertissements inc. (la décision est ici)

Je vous avais mentionné cette décision dans un billet précédent.

Ce n’est pas une révolution (puisque la Cour d’appel réitère essentiellement des principes déjà établis), mais le propos du juge Gagnon est clair et précis et, partant, c’est une décision susceptible d’être utile à titre de précédent.

Les faits à l’origine de la décision sont simples et la Cour les résume ainsi :

Les appelantes (THQ) démarrent un nouveau studio de jeux vidéo dans la ville de Montréal. Elles recrutent deux de leurs employés parmi les travailleurs oeuvrant pour le compte de l’intimée (Ubisoft). Cette dernière soutient que ces deux employés ont sollicité d’autres membres de son personnel, et ce, malgré l’existence de clauses de non-sollicitation les liant à elle. L’un d’eux, Patrice Désilets, aurait sollicité et embauché pour le compte de THQ trois de ses anciens collègues, tous liés par des clauses de non-sollicitation et de non-concurrence. Pour mettre fin à ce comportement qu’elle juge déloyal, Ubisoft demande à la Cour supérieure de prononcer des ordonnances d’injonction contre THQ et ses deux ex-employés. [La Cour supérieure octroiera effectivement de telles ordonnances, d’où l’appel de THQ]

Le juge Gagnon annule cette décision en déclarant notamment que :

1) Une compagnie est tout à fait libre de solliciter (même agressivement) les salariés de ses compétiteurs. La Cour rappelle ici les propos suivants du juge Lebel (alors à la Cour d’appel) dans l’affaire Excelsior ([1992] R.J.Q. 2666):

La liberté de concurrence représente le principe fondamental d’organisation des activités économiques, dans le secteur des assurances comme ailleurs, sous réserve de son encadrement législatif ou réglementaire. Bien que dommageable, la concurrence, en elle-même, ne saurait être fautive et source de responsabilité civile. Même lourdement préjudiciable pour une entreprise d’assurances, la seule conquête d’une part de marché par un nouveau concurrent ne lui donne pas droit à une indemnité. La concurrence fait partie de ces activités reconnues comme licites, bien que dommageables. On a le droit de conduire le restaurateur ou l’épicier voisin à la faillite, pourvu que, ce faisant, on emploie des moyens licites et corrects. […]

2) La sollicitation ne devient illégale que lorsqu’il est démontré “que cette sollicitation n’est mise en place que dans le but de nuire à l’employeur et non pour répondre aux besoins légitimes de l’entreprise qui s’adonne à la sollicitation. À l’évidence, toute entreprise qui cesse d’agir à des fins justes en posant des gestes illicites et déloyaux abuse de ses droits. Lorsque l’entreprise en question est un concurrent de l’employeur, on peut alors parler de concurrence déloyale.” Il revient donc à la partie demandant l’ordonnance de faire la preuve i) de la mauvaise foi de son concurrent et ii) du préjudice que sa conduite lui occasionne.

La Cour d’appel ajoute que l’ordonnance aurait dû avoir une durée déterminée puisqu’il s’agissait d’une ordonnance de sauvegarde. Ce dernier élément (bien que procédural) est digne de mention parce qu’il s’agit d’une question où les juges de la Cour supérieure avaient souvent le réflexe (pour des considérations pratiques par ailleurs louables) d’ignorer la jurisprudence bien établie de la Cour d’appel. Présumons que cette attitude sera légèrement modulée par ce nouvel arrêt.

B) Billettte c. Ville de Montréal-Est (la décision est ici)

Suite (et fin?) de la saga entourant la destitution de l’ancien DG de la Ville de Montréal-Est (laquelle a connu un épisode surprenant à la Cour d’appel en 2011 / la décision de la Cour d’appel est ici).

Il s’agit d’une décision déterminant le quantum payable au plaignant. A priori, c’est une décision coup de poing pour la Ville, laquelle est non seulement condamnée à réintégrer le plaignant (dans un poste de DG…), mais également à lui verser la bagatelle de 383,455.75$ en dommages (et ce, malgré qu’il est obtenu un autre poste à un salaire équivalent 18 mois après sa destitution). L’aspect “réintégration” de la décision est (très) surprenant puisqu’on parle d’un dossier impliquant un directeur général (et qu’il est rare que la Commission ordonne la réintégration de cadre supérieur), mais l’aspect “quantum” de cette décision du commissaire Chaumont adresse plusieurs questions intéressantes d’une façon bien structurée (même si certaines des réponses fournies ne feront probablement pas l’unanimité).

C) Régie du bâtiment du Québec c. Groupe LJP inc. (la décision est ici)

Il s’agit d’une décision concernant une demande de révocation à l’encontre d’un commissaire. In a nutshell, la Commission décide qu’un commissaire n’a pas à se récuser d’un dossier simplement parce qu’il a déjà rendu une décision défavorable à une partie sur un point de droit se soulevant de façon identique dans une nouvelle affaire.

D) Le dossier des intervenantes en milieu familial (la décision est ici)

Cette décision est une nouvelle illustration de l’un des courants jurisprudentiels les plus problématiques développés au sein de la Commission des relations du travail depuis sa création. En fait (et il faudra assurément que nous en reparlions plus en détails), il m’appert de plus en plus que, depuis la mise sur pied de la CRT, la question fondamentale de la liberté d’expression des employeurs a été examinée d’une façon telle qu’il ne serait pas déraisonnable de dire que nos décideurs ont, depuis peu, institutionnalisé une interprétation des articles 12 et 13 du Code du travail qui est susceptible de contrevenir à la Charte.

Cela dit, d’ici à ce que nous en reparlions, sachez que cette décision de la commissaire Bédard détermine que la Ministre de Famille (et, par association nécessaire, les bureaux coordonnateurs oeuvrant de ce secteur) a entravé les activités de certains syndicats en diffusant et en faisant appliquer une instruction passablement neutre (i.e. l’instruction #7, laquelle est citée au paragraphe 60 de la décision) et/ou en affirmant publiquement que les salariées n’étaient pas obligées de voter en faveur d’une grève (ce qui était par ailleurs parfaitement vrai)…

Sur ce, je vous souhaite une excellente semaine.

***

[1] Le Marquis de Sade disait que “Tout le bonheur des hommes est dans l’imagination”, alors je m’efforce d’en faire preuve sur une base quotidienne 🙂

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