Les manifestations étudiantes et les baux net net net
L’actualité des derniers jours, que dire, des derniers mois, traite principalement des manifestations étudiantes. Dans les journaux, on rapporte que des commerçants sont inquiets pour leur chiffres d’affaires, mais également pour une possible augmentation de leur prime d’assurance. En effet, certains commerçants ont dû remplacer d’urgence des vitrines fracassées. Je me suis alors demandée qui était responsable de payer pour le remplacement des vitrines, le bailleur ou le locataire.
Évidemment, je ne pourrai pas répondre à la question puisque je ne connais pas la situation juridique de ces commerçants. Cependant, je peux certes affirmé qu’ils sont soit propriétaires, soit locataires. S’ils sont propriétaires, la réponse est assez simple: ils devront payer eux-mêmes la réparation de leur vitrine (ou par l’entremise de leur assureur). Cependant, s’ils sont locataires : alors là, la réponse peut être très différente d’un commerçant à l’autre.
À moins d’avoir une clause spécifique sur le sujet dans le bail, la règle générale se trouve à l’article 1864 du Code civil du Québec, qui prévoit que le locataire n’est tenu qu’aux travaux d’entretien régulier, sauf s’ils sont rendus nécessaires à cause de la vétusté ou d’une force majeure. Je ne pense pas que l’on pourrait qualifier « d’entretien régulier » un changement de vitrine brisée dans le cadre d’une manifestation. Mais même si l’on en arrivait à cette conclusion, on pourrait fort probablement prétendre qu’il s’agit d’un cas de force majeure. L’article 1470 du Code civil du Québec définit la force majeure comme étant un évènement imprévisible et irrésistible. Je pense qu’il y aurait un argument assez fort que les manifestations étudiantes des derniers soirs étaient des évènements imprévisibles et irrésistibles. Par conséquent, en vertu du Code civil du Québec, il y a de fortes chances que le locataire n’aurait pas à assumer le coût de remplacement de la vitrine.
Cependant, la règle prévue à 1864 C.c.Q. n’est pas d’ordre public et les parties à un contrat peuvent donc convenir autrement.
Je ne pense pas beaucoup me tromper en affirmant que plusieurs baux commerciaux au Québec sont qualifiés de « net » « net net », « net net net » ou même « absolument net » ou « semi-net ». L’utilisation de ces différents termes en complique l’interprétation . En effet, il n’est pas toujours évident, à la lecture du bail, de déterminer qui doit assumer quelles dépenses. Les termes ne sont pas définis uniformément dans les baux, et donc pas plus dans les jugements.
Le 15 juin 2011, la Cour Supérieure, par l’entremise de l’honorable juge Alary, décidait qu’en présence d’un bail net net et des clauses particulières à ce bail, la réfection, même majeure, du toit devait être assumée par le locataire.
Dans cette affaire, la Cour mentionnait que les « termes “net net” signifient généralement que le locateur n’assume aucuns frais d’exploitation et d’entretien des lieux ». Elle citait, avec approbation, un extrait d’un article de doctrine intitulé : « examen des clauses financières d’un bail » par Anne Boutin et Paul Mayer, dans lequel les auteurs affirmaient :
« La plupart des baux commerciaux que l’on désigne comme “nets” prévoient que le bailleur conservera jusqu’à un certain point le contrôle de sa propriété et qu’il sera tenu de payer certaines dépenses en immobilisation, comme les réparations ou les remplacements à la structure. Ces exigences font de ce bail un bail “semi-net” et le qualifier de “net” est inexact. En vertu d’un bail “net” véritable, la totalité des obligations économiques pour l’exploitation et l’entretien serait assumée par le locataire ».
Par ailleurs, la Cour d’Appel, le 21 août 2000, avait décidé, dans une autre affaire, que les coûts pour le remplacement du toit ne devaient pas être assumés par le locataire puisque le bail n’était pas suffisamment clair pour imposer une telle charge au locataire. La Cour mentionnait : « Même lorsqu’il s’agit de baux dits “net, net net ou net net net”, les dépenses imputables au locataire peuvent varier d’un bail à l’autre, d’où l’importance d’une clause claire (…) Dans les baux double net ou triple net, si le locateur loue l’immeuble dans l’état où il se trouve (“as is”) sans s’engager à payer les frais d’entretiens et d’exploitation (…), il ne peut tout de même pas exiger des locataires qu’ils lui remettent un immeuble neuf. »
Ces exemples de jugements rendus sur l’interprétation de ces clauses sont intéressants, entre autres, pour la démonstration qu’ils font de la difficulté d’interprétation de telles clauses. Un texte clair et précis est un avantage tant pour le bailleur que pour le locataire.
Dans le cas des vitrines, il y a fort à parier qu’il y aura plus de réclamations aux compagnies d’assurance qu’entre propriétaires et locataires.