Contester soit, mais quoi?
Le baseball majeur a toujours été un de mes sports préférés. Ce qui me fascine particulièrement c’est la bataille entre lanceur et frappeur. La minutie, la stratégie et les ajustements constants qui sont nécessaires sont impressionnants, particulièrement en cette ère où les parties en savent tellement l’une sur l’autre grâce aux statistiques avancées que nous possédons. Dépendamment de la situation, le lanceur tentera soit de retirer le frappeur sur des prises ou il visera un objectif plus modeste tel le forcer à frapper un faible ballon ou un roulant à l’avant-champ. De la même façon, le frappeur devra, en considération des circonstances pertinentes, décider s’il s’élance pour frapper un circuit ou s’il tente plutôt de frapper la balle à un endroit stratégique ou même soutirer un but sur balles. Du moins, c’est ce que les bons lanceurs et frappeurs font. Les plus médiocres, eux, adoptent la même stratégie peu importe la situation.
Pourquoi je vous parle de baseball aujourd’hui? D’abord parce que je m’ennui toujours des Expos, mais surtout parce que les parallèles à faire entre les bons lanceurs/frappeurs et les bons intimés dans le cadre d’une requête en autorisation d’exercer un recours collectif sont multiples. En effet, il est tout aussi illogique pour ces intimés de viser la longue balle (i.e. le rejet de la demande d’autorisation sur tous les critères) peu importe les circonstances.
Pour une partie intimée, partir de la prémisse qu’elle va simplement contester tous les aspects d’une requête en autorisation est une erreur. Certes, il existe des situations où cette stratégie est la bonne, i.e. lorsque la rédaction de la requête en autorisation est clairement déficiente ou lorsque la cause d’action est facilement contestable. Mais, dans la plupart des cas, des décisions stratégiques s’imposent.
Avant d’élaborer plus longuement sur la question, permettez-moi de traiter durechef d’une des justifications que l’on entend trop souvent: “on n’a rien à perdre“.
Respectueusement, c’est souvent faux. D’abord, la crédibilité d’une partie aux yeux d’un juge est souvent tributaire des choix qu’elle effectue quant aux moyens à proposer à la Cour. Si vous avez 17 arguments à faire valoir pour vous opposer à l’autorisation d’un recours, plusieurs de ceux-là risquent d’être d’une grande faiblesse ou, à tout le moins, superflus. Le juge saisi de votre affaire risque d’être peu impressionné et enclin à croire que vous plaiderez à peu près n’importe quoi. Dans un contexte où le juge de l’autorisation reste saisi du mérite de l’affaire (si autorisée), cela est problématique (j’ajoute, pour ceux qui croient que ces considérations n’influent pas sur les juges qui sont supposés traiter froidement et individuellement de chaque argument soumis, que j’aimerais discuter avec vous de la possibilité de vous vendre des propriétés maracageuses en Floride…).
Deuxièmement, et possiblement plus important, cela vous force à prendre des positions fermes sur certaines questions bien avant qu’il ne soit nécessaire de le faire. Au stade de l’autorisation, la preuve est très fragmentaire, de sorte qu’une partie intimée est généralement bien avisée de garder ses cartes cachées à moins que le jeu en vaille la chandelle.
Troisièmement, pourquoi dépenser une fortune en honoraires extrajudiciaires pour présenter des arguments qui n’ont que très peu de chances de succès?
Ce qui me ramène à mon sujet principal: l’analyse et la flexibilité. Il est primordial pour une partie intimée au stade de l’autorisation de bien déconstruire le recours qui est intenté contre elle et de cibler ses faiblesses à l’autorisation. Prenons l’exemple facile du groupe proposé. Dans la plupart des recours, il est possible de faire réduire la taille du groupe en convaincant le tribunal que celui qui est proposé n’est pas objectif ou homogène. C’est souvent une option plus attrayante que de tenter de convaincre la Cour que le groupe est tellement diforme que l’autorisation doit être simplement refusée. Même raisonnement pour les questions communes. Les tribunaux québécois se satisfont maintenant d’une seule question commune qui n’est pas insignifiante (voir mon billet indigné sur la question ici), mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut s’attaquer aux autres questions et convaincre le juge qu’elles ne devraient pas faire l’objet d’un recours collectif.
Un recours collectif dont la portée est réduite, que ce soit par la description du groupe ou les questions à traiter collectivement, est plus facile à gérer, régler et contester.
Les parties intimées avisées, comme les bons lanceurs/frappeurs, sauront analyser une situation donnée et ajuster leurs objectifs en conséquence. Comme un jouet brisé je me répète: gare aux automatismes.