La CS rappelle un notaire à l’ordre : pas de courtage immobilier, sauf accessoirement

Un notaire peut-il, sans détenir un permis de courtier immobilier, et sans que ce soit de manière accessoire par rapport à un mandat principal exécuté dans l’exercice de ses fonctions en tant que notaire, agir comme mandataire du propriétaire-vendeur dans le cadre de la vente d’un immeuble ? Peut-il se présenter comme conseiller juridique du vendeur et poser une pancarte devant l’immeuble, indiquant : « Visite libre par le propriétaire, avec l’assistance-conseil de Maître Untel, notaire. Bienvenue aux intermédiaires. » ? Peut-il indiquer aux acheteurs potentiels qu’il s’occupe « de tout ce qui concerne la vente de l’immeuble, « du début à la fin », tel que poser une affiche « à vendre » devant l’immeuble, recevoir les visiteurs lors des visites libres et voir à la transmission de l’information sur l’immeuble » ?

En 2010, la Cour du Québec a tranché par l’affirmative, statuant comme suit, dans une décision rendue oralement acquittant un notaire qui était poursuivi pour avoir donné lieu de croire qu’il était autorisé à exercer la profession de courtier immobilier :

« Ce n’est pas parce que l’on a reçu le mandat de vendre une maison d’un tiers qu’on laisse croire que l’on est autorisé à agir comme courtier immobilier. Le Code civil existe toujours au Québec et la disposition prévoyant le mandat n’a pas été abrogée. C’est l’article 2130. Qui plus est, il me semble que le Code civil a préséance sur la Loi sur le courtage immobilier (…). »

Cependant, en 2012, dans une décision rendue en appel dans cette même cause [Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier au Québec (Association des courtiers et agents immobiliers du Québec) c. Langlois], la Cour supérieure a répondu par la négative aux questions énoncées ci-haut et a donc renversé le jugement de la Cour du Québec. Pour ce faire, la Cour supérieure a déclaré que la Loi sur le courtage immobilier a préséance sur les règles supplétives du Code civil. De plus, la Cour supérieure a réitéré les principes établis par la Cour supérieure en 2005 dans l’affaire Hudon c. OACIQ, selon lesquels il n’est plus permis « aux notaires et avocats, d’accomplir les actes réservés aux courtiers et agents immobiliers, sauf lorsque les notaires et avocats agissent dans l’exercice de leurs fonctions ».

Il est à noter que le jugement Langlois a été rendu sous l’égide de la version antérieure de la Loi sur le courtage immobilier (L.R.Q., chapitre C-73.1, qui fut en vigueur de 1994 à 2010), laquelle a été remplacée par la nouvelle Loi sur le courtage immobilier (L.R.Q., chapitre C-73.2, entrée en vigueur le 1er mai 2010). Malgré une formulation différente, les deux lois sont similaires quant au fond en ce qui concerne l’exemption permettant aux notaires et aux avocats de se livrer à une « opération de courtage », pourvu que ce soit «dans l’exercice de leurs fonctions ».

Cependant, avant 1994, l’ancienne Loi sur le courtage immobilier (L.R.Q., chapitre C-73), prévoyait que les notaires et les avocats, du moment qu’ils étaient inscrits au tableau de leur ordre professionnel, étaient exemptés de son application et avaient le droit d’accomplir les actes réservés aux courtiers et agents immobiliers.

Dans l’état actuel du droit, malgré les principes énoncés par la loi et leur application par la Cour supérieure, un certain flottement persiste quant aux services conseils qui peuvent être offerts aux membres du public qui choisissent de vendre ou de louer leurs immeuble sans avoir recours à un courtier, pour éviter les commissions de courtage. Cette situation est alimentée par l’effet conjugué de deux facteurs principaux : (i) le manque de précision de la loi quant aux actes qui sont réservés aux courtiers, et (ii) les forces du marché.
La Loi sur le courtage immobilier (tant dans sa version actuelle que dans les versions antérieures) ne précise pas quels sont les actes réservés aux courtiers et agents immobiliers. En effet, la loi actuelle prévoit l’exception suivante :

« (…) 2. Les personnes suivantes ne sont pas soumises à la présente loi, lorsque, dans l’exercice de leurs fonctions, elles se livrent à une opération de courtage visée à l’article 1, à moins qu’elles ne prennent un titre dont la présente loi réserve l’utilisation: 1° les avocats et les notaires; (…) ».

Vu la référence à « une opération de courtage visée à l’article 1 », on s’attendrait à ce que l’article 1 définisse ce qu’est une opération de courtage, ou qu’il énumère les actes constitutifs d’une opération de courtage, car le mot « opération » signifie, dans son sens premier, selon le dictionnaire, «une suite d’actions réalisées en vue d’obtenir un résultat».

Or, tel qu’il appert de l’extrait reproduit plus bas, l’article 1 de la loi, bien qu’il énumère un certain nombre de transactions (lesquelles sont désignées comme étant des «actes », alors qu’il s’agit en fait du résultat visé par l’opération, et non les actes nécessaires pour y arriver), demeure opaque quant au processus pour y parvenir. La loi ne précise donc pas quelle est la suite d’actes qui constituent une opération de courtage, selon le législateur, et qu’il convient de réserver aux courtiers pour protéger le public. Voici comment se lit l’article 1 de la Loi sur le courtage immobilier actuelle :

« 1. La présente loi s’applique à toute personne ou société qui, pour autrui et contre rétribution, se livre à une opération de courtage relative aux actes suivants:
1° l’achat, la vente, la promesse d’achat ou de vente d’un immeuble, ou l’achat ou la vente d’une telle promesse;
2° la location d’un immeuble, dès qu’il y a exploitation d’une entreprise par la personne ou la société qui agit à titre d’intermédiaire dans ce domaine;
3° l’échange d’un immeuble;
4° le prêt garanti par hypothèque immobilière;
5° l’achat ou la vente d’une entreprise, la promesse d’achat ou de vente d’une entreprise ainsi que l’achat ou la vente d’une telle promesse, par un seul contrat, si les biens de l’entreprise, selon leur valeur marchande, sont principalement des biens immeubles. (…) »

Il est également à noter que la loi ne précise pas non plus ce que signifie l’expression « dans l’exercice de leurs fonctions », mais que les tribunaux ont interprété cette expression comme signifiant que les notaires et les avocats ne pouvaient se livrer à des opérations de courtage que de manière incidente à un mandat général. La distinction entre ce qui est incident et ce qui constitue un mandat principal peut elle-même susciter la controverse.

Bref, comme l’expression « opération de courtage » n’est pas définie par la loi, et comme la loi ne précise pas non plus ce que signifie « dans l’exercice de leurs fonctions », il existe une zone grise quant aux actes qui sont réellement réservés aux courtiers immobiliers, ce qui a donné lieu à une jurisprudence relativement abondante, qu’il s’agisse de notaires, d’avocats ou d’autres individus ou entreprises se présentant comme des conseillers juridiques, des mandataires du vendeur ou des consultants en immobilier, ou d’entreprises comme DuProprio, lesquels tentent, chacun à leur manière, d’exploiter les brèches de la loi et les forces du marché, découlant, en l’occurrence, de l’appétit des consommateurs pour la vente sans courtier immobilier.

En effet, il existe un courant indéniable, dans le marché immobilier actuel, visant à offrir plus de choix et d’autonomie au public en matière de vente d’immeubles. Ces forces du marché cherchent à décloisonner et à segmenter les services liés aux transactions immobilières (détermination du prix de vente, marketing, publicité numérique, visites, etc.), un domaine qui continue de connaître d’importantes mutations liées à l’internet et aux médias sociaux. En effet, ces outils technologiques ont de facto augmenté le degré d’autonomie du public et érodé de manière importante le monopole des courtiers, et ce, malgré l’énorme potentiel que ces outils offrent aux courtiers les plus innovants.

Il est intéressant de noter que la circonscription du rôle du notaire, lorsqu’il est impliqué dans des activités relevant du courtage immobilier, a également soulevé la polémique dans d’autres juridictions, comme on peut le voir ici, sur le blogue d’une avocate française, dans un billet intitulé « Le courtage immobilier des notaires en voie d’extinction! ». Dans ce blogue, où le courtage immobilier est décrit comme « la recherche d’un acquéreur pour un bien immobilier », l’avocate pose la question suivante : « est- il normal que les notaires soient aussi des vendeurs immobiliers même si l’activité est accessoire selon eux à leur activité monopolistique de vente immobilière ? » Pour plus détails provenant d’un blogue belge, voir ceci : « Notaires interdits de courtage : victoire juridique des agents immobiliers »), un billet qui pose la question sous l’angle de la distinction entre ce qui constitue un acte commercial (interdit aux notaires) et un acte juridique.

Quoi qu’il en soit, le mérite de la décision Langlois est de fournir plus de certitude et un exemple concret d’application de la Loi sur le courtage immobilier…pour le moment, du moins. En effet, une requête pour permission d’appeler a été accueillie par décision de la Cour d’appel rendue le 27 juin 2012.

La controverse n’est donc réglée que temporairement et il sera intéressant de voir comment la Cour d’appel tranchera la question, compte tenu, d’une part, de l’objectif du législateur, qui est de protéger le public en réglementant l’exercice du courtage immobilier, et du courant populaire incontestable qui remet en question le monopole des courtiers immobiliers, comme en font foi la décision de la Cour du Québec, dans l’affaire DuProprio et cet article, intitulé « Un courtier? Pour quoi faire?»

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