Baux commerciaux: de la jouissance paisible et des … coquerelles!

Plusieurs synonymes peuvent être employés afin de désigner ces indésirables bestioles.  Il y a le mot « cafard » ou « blatte » ou encore en anglais, « cockroach » ou en espagnol, « cucaracha », cette dernière ayant inspirée une chanson bien connue :  « La cucaracha, la cucaracha… ».  Le bailleur dans cette histoire n’ayant sûrement pas la tête à fredonner cette chanson festive.  Voyons voir pourquoi!

En effet, la semaine dernière (le 15 août 2012) Madame le juge Dionysia Zerbisias de la Cour supérieure dans l’affaire Lunetterie Newlook inc. c. Edifice 1616 Ste Catherine Ouest Le Faubourg (2012 QCCS 3855 – cliquez sur cette référence pour un lien immédiat):

  •  accueilli la requête de la demanderesse « Newlook »;
  •  résilia le bail rétroactivement au 31 octobre 2010; et
  •  ordonna à la défenderesse « Le Faubourg » de rembourser le loyer payé depuis cette date.

Sans que ce soit l’une des questions en litige, Madame le juge Zerbisias se posa cette question au tout début du jugement :  « How many cockroaches are too many before premises are rendered uninhabitable?  That is the question ! », donnant ainsi le ton et la saveur que prendra le jugement à intervenir ainsi que de quel côté la balance de la justice penchera.

Les faits de l’affaire

En novembre 2006, un bail est signé entre Newlook, à titre de locataire, laquelle est une société publique exploitant environ 70 succursales au Québec et en Ontario, et Le Faubourg, à titre de bailleur, et ce, afin de louer un emplacement situé au 1616, rue Ste-Catherine à Montréal, le tout, afin d’y exploiter une succursale dans le domaine de la lunetterie et des soins de la vue pour un terme de dix ans.  Il est à souligner que lors des négociations ayant entourées la signature de ce bail, il n’est aucunement fait mention de la part du bailleur d’un problème relié à la vermine dans Le Faubourg.

Une escalade de plaintes s’ensuivit peu de temps après le début des opérations et ce, de la part des employés de Newlook quant à une infestation de cafards.  Le bailleur en est aussitôt avisé.  Bien que le bailleur tenta de résoudre cette problématique en instaurant un programme d’extermination, en vain, le problème persista de plus bel et les cafards continuant de tomber du plafond, morts ou vivants, ou encore rampant sur le plancher et sur les plans de travail.  C’en était trop!

En octobre 2010, après plusieurs tentatives afin de régler ce problème, Newlook n’eut d’autre choix et ce, afin de préserver son image de marque et sa réputation, que de cesser l’occupation immédiate de ses lieux et de demander la résiliation de son bail, le tout, sur la base que la jouissance paisible de ses lieux loués ne pouvait lui être procurée et qu’un préjudice sérieux lui était causé.

Le Faubourg nia le problème de Newlook et souleva plutôt que cette dernière se servait des cafards afin de résilier son bail, puisque l’objectif des ventes de Newlook pour cet emplacement n’était pas atteint.

Les questions en litige

QUESTION 1:  DID LE FAUBOURG FAIL TO PROVIDE PEACEABLE ENJOYMENT TO NEWLOOK DUE TO THE INFESTATION OF COCKROACHES?

Afin de répondre à cette première question en litige, l’honorable juge Zerbisias dut entendre trois groupes de témoins, soit quatre exterminateurs, cinq employés de Newlook – Le Faubourg ainsi que trois membres de l’équipe de gestion de Newlook.

La cour se demanda quelle était l’obligation de Le Faubourg en l’espèce et se référa à la base, soit au Code civil du Québec, en mentionnant que le bailleur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail. Il est aussi tenu de l’entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail.  De plus, la cour fait référence plus particulièrement à l’article 1863, lequel se lit comme suit :

1863. L’inexécution d’une obligation par l’une des parties confère à l’autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l’exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l’inexécution lui cause à elle-même ou, s’agissant d’un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.

L’inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l’avenir.”.

À cela, la cour énonça trois critères essentiels afin d’établir que la résiliation d’un bail et l’abandon des lieux étaient justifiés, soit :

A.         a substantial failure to perform its obligations by the lessor;

B.         a resulting prejudice caused by the breach;

C.        notice or knowledge by the lessor that the tenant is being disturbed in its enjoyment of the premises as a result of the lessor’s failure to perform.

De plus, afin de determiner la date de début de la résiliation du bail, la cour référa à l’ouvrage intitulé « Le Louage » de Pierre-Gabriel Jobin (pages 468 et 469) en ces termes :

“La résiliation prend effet généralement à la date à laquelle la violation des obligations du locateur est devenue certaine, au moment où elle s’est «cristallisée», selon l’expression d’un juge. Ainsi, quand le locataire a déguerpi parce que les lieux sont inhabitables, les tribunaux, la plupart du temps, prononcent la résiliation en date de l’abandon des lieux parce qu’ils estiment que c’est à cette époque que la faute s’est cristallisée; cette façon de faire est commode, mais non obligatoire, car elle procède parfois d’une analyse superficielle des faits: la faute peut bien être devenue certaine et sérieuse avant que le locataire décide de s’en aller.”

[underlining added]

Dans les circonstances, étant donné qu’après plusieurs tentatives infructueuses afin de régler ce problème et que l’infestation de la vermine ne cessait de croître, il était devenu évident, impératif et irréversible que l’abandon des lieux était la seule solution à envisager et que par surcroît, la résiliation du bail était l’unique voie à prendre afin de préserver la réputation de Newlook, laquelle était grandement menacée.  En effet, toute atteinte à la réputation de Newlook pourrait engendrer des répercussions négatives sur l’ensemble des magasins de Newlook.

QUESTION 2:  IS NEWLOOK USING THE COCKROACH ISSUE AS A PRETEXT TO CANCEL ITS LEASE DUE TO ITS FAILURE TO EARN ITS PROJECT SALES OBJECTIVES AT LE FAUBOURG?

À cette question en litige et bien que l’objectif des ventes pour cet emplacement n’était pas atteint, la juge fit part que Le Faubourg avait failli dans sa preuve et avait aussi failli dans son obligation de fournir la jouissance paisible des lieux loués à Newlook, cette dernière ayant enduré une infestation massive de cafards sur une période de 3 ans et sans espoir que le problème soit résolu.  De plus, Newlook mis en preuve qu’elle n’avait jamais fermé un seul magasin avant l’échéance du terme du bail pour ces autres emplacements.

La juge fit donc pencher la balance en faveur de Newlook.

QUESTION 3:  IS NEWLOOK ENTITLED TO REIMBURSEMENT OF ALL THE RENTALS PAID AFTER IT VACATED THE PREMISES IN OCTOBER 2010?

Citant une fois de plus l’article 1863 C.c.Q., la juge fit part en ces termes très clairs :

“[135]     There is no logical or legal reason under which the lessee should be bound to pay rental in the present circumstances after it vacated.”.

QUESTION 4:  IS LE FAUBOURG ENTITLED TO COLLECT THE RENTAL DUE BY NEWLOOK TO THE EXPIRY OF THE TERM OF THE LEASE?

 Dans une suite logique, la cour répond par la negative.

QUESTION 5:  DID LE FAUBOURG FAIL TO MINIMIZE ITS DAMAGES AFTER NEWLOOK VACATED THE PREMISES?

Selon les circonstances, la cour considéra que Le Faubourg a failli dans ses obligations de réduire ses dommages et ajoute que :   « Notwithstanding its own breach of its obligations, Le Faubourg tried to transfer the economic losses it would sustain from its own breach unto its lessee or victim of that breach, Newlook.”.

En conclusion

Dans la négociation d’un bail commercial, la notion de jouissance paisible des lieux loués constitue un point sensible.  La jurisprudence n’est pas des plus abondantes sur le sujet.  De plus, chaque cas est un cas d’espèce devant être analysé et interprété à la lumière et selon les circonstances pertinentes de l’affaire, puisque l’entrave à la jouissance paisible des lieux loués est bien différente pour chaque type d’usage que le locataire entend faire de ses lieux loués.

Un fait des plus intéressants à vous faire remarquer dans ce jugement est qu’aucune référence n’est faite au document principal, soit le bail commercial liant les deux parties.

Y aura-t-il appel de cette décision?  À suivre…

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