Trop loin…
Nous discutions la semaine dernière de mon impression que les tribunaux québécois vont parfois trop loin dans le cadre des recours collectifs et qu’ils finissent par punir la partie intimée plutôt que de véritablement indemniser les membres du groupe comme l’exige le droit civil. Or, la décision récente de la Cour supérieure dans Option consommateurs c. Banque de Montréal (2012 QCCS 4106) illustre bien ce propos.
Dans cette affaire, la Demanderesse, une association sans but lucratif vouée à la défense et à la promotion des intérêts des consommateurs québécois, demande que la Défenderesse soit condamnée à rembourser à ses clients une partie de la pénalité qu’elle leur a chargée lorsqu’ils ont remboursé leur prêt hypothécaire avant la fin de leur contrat. Selon la Demanderesse, la pénalité aurait été calculée sans que la Défenderesse n’ait déduit du solde de l’emprunt, le montant en capital que l’emprunteur avait le droit de rembourser chaque année, sans pénalité.
Après analyse, la Cour en vient à la conclusion qu’elle doit accueillir le recours collectif intenté. Elle se tourne vers la question du recouvrement collectif ou individuel.
À ce chapitre, le libellé de l’article 1031 C.p.c. est d’une grande clarté, indiquant que “le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d’établir d’une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres“. Or, nonobstant le fait que la preuve ne permet aucunement d’établir le montant en question (la Demanderesse n’ayant présentée aucune preuve à cet égard), la Cour ordonne le recouvrement collectif en les termes suivants:
[210] Le recouvrement individuel exige que chaque réclamant fasse valoir sa réclamation personnelle alors que le recouvrement collectif a pour effet de priver la défenderesse des sommes perçues sans droit.
[211] Le professeur Lafond explique que dans le cadre du recouvrement individuel, le défendeur n’est appelé à dédommager que les valeureux membres qui produisent leur réclamation alors que dans le cas du recouvrement collectif la responsabilité du défendeur s’étend à toute la mesure du préjudice causé.
[212] L’expérience démontre, poursuit le professeur Lafond, que les tribunaux favorisent majoritairement le recouvrement collectif assorti généralement d’un mécanisme de distribution individuelle. C’est que l’objectif, poursuit-il, est de s’assurer qu’un défendeur ne conserve pas les gains qu’il a retirés illégalement. Le professeur Lafond invite à orienter l’indemnisation non plus à partir du dommage subi, mais à partir du dommage causé. Le recours collectif a comme avantage de forcer le défendeur à déposer auprès du tribunal le montant total des réclamations. Ainsi, la responsabilité du défendeur s’étend à la mesure du préjudice total dont il est responsable contrairement au mode de recouvrement individuel dans lequel le débiteur n’est appelé à dédommager que les membres qui produisent leur réclamation.
[213] Cette conception du recouvrement respecte aussi la notion d’accès à la justice, de justice corrective, de prévention, de respect volontaire du droit et d’effet dissuasif.
[214] Le juge Gascon dans Marcotte c. Banque de Montréal, indique que le libellé de l’article 1031 C.p.c. fait ressortir la préséance que le législateur accorde au recouvrement collectif. En condamnant le défendeur à payer les dommages causés à l’ensemble du groupe, sa responsabilité correspond à celle à laquelle il serait tenu si tous les membres du groupe présentaient leur réclamation individuelle. En ce sens, le défendeur n’est pas pénalisé.
[…]
[221] Le Tribunal est donc en mesure d’ordonner le recouvrement collectif, cette ordonnance devant prendre effet après que la Banque aura fourni la liste des membres et le montant des pénalités payées en trop.
[222] Le Tribunal croit que cette ordonnance s’inscrit dans les objectifs généraux du recours collectif de faciliter l’indemnisation des membres dans un esprit d’équité et de justice. L’objectif privilégié de permettre un recouvrement collectif doit être facilité lorsqu’il y a moyen de remédier à l’absence d’information quant au nombre des membres et au montant de la créance de chacun.
[223] Le Tribunal sait qu’il impose un travail considérable à la défenderesse. C’est le prix qui est associé à l’indemnisation du groupe.
[224] L’article 1031 C.p.c. dit que la preuve doit établir de façon suffisamment exacte le montant total de réclamation des membres.
[225] Le Tribunal a calculé que la membre désignée avait droit à un crédit au montant de 263,11 $.
[226] Le Tribunal ne peut établir le montant total des réclamations, car il ignore le nombre de réclamants. L’indemnité due à chacun dépendra aussi du pourcentage de capital qu’il a droit de rembourser sans indemnité, du montant des versements faits au cours d’une année civile, du solde en capital et du montant de la pénalité chargée. Seule la défenderesse détient ces informations.
[227] C’est au moment de la distribution des montants que seront prises en compte les circonstances particulières d’un membre. Ainsi, le membre à qui on n’a pas chargé de pénalité, n’aura pas droit au remboursement. Celui qui aurait obtenu le remboursement de la pénalité lorsqu’il a contracté un emprunt avec une nouvelle institution financière ou qui aurait reçu quelque compensation que ce soit de la part de Banque de Montréal ou d’une autre institution financière, n’aura pas droit de recevoir un remboursement. Toutes ces questions seront étudiées à un autre moment, lorsqu’il sera question des modalités à être adoptées pour le traitement des réclamations individuelles.
[notre surbrillance]
Respectueusement, cette décision est complètement exorbitante du droit québécois en la matière. D’abord, elle contredit expressément le libellé clair de l’article 1031 C.p.c. Ensuite parce qu’il s’agit assez clairement d’une mesure punitive à l’endroit de la Défenderesse.
Dans Adams c. Banque Amex du Canada (2012 QCCA 1394), l’Honorable juge Pierre J. Dalphond rappelait que le recouvrement collectif, même lorsqu’il était approprié, imposait en quelque sorte une punition envers la partie défenderesse. En effet, l’on sait que le taux de réclamation des membres d’un groupe varie habituellement sous la barre des 10%. Or, le relicat non réclamé n’est pas retourné à la partie condamnée, faisant en sorte que celle-ci fait plus que dédommager les membres du groupe:
[57] Firstly, the judge failed to take into consideration the fact that a collective recovery often comprises an important punitive aspect as compared to individual recovery. In his treatise on class actions: Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les consommateurs (Montréal: Éditions Thémis, 1996), Professor Pierre-Claude Lafond writes at 569 […]
Ainsi, ordonner le recouvrement collectif lorsque la preuve ne le supporte d’aucune façon (tel que c’est le cas dans l’affaire sous étude) c’est simplement punir la partie défenderesse et non dédommager les membres pour la perte qu’ils ont réellement subie. À ce chapitre, il semble utile de rappeler les mots de l’Honorable juge Jean-Louis Baudouin que nous citions la semaine dernière:
[48] Or, un comportement fautif ne donne naissance à une créance basée sur la compensation de la perte subie que si, et seulement si, dans les faits, cet acte a provoqué un dommage, a causé un préjudice. Le recours collectif n’est pas le moyen de punir un contrevenant à la loi, mais bien seulement d’indemniser un groupe de personnes pour des pertes réelles subies en commun.
Il faudra donc suivre avec intérêt le cheminement de cette affaire en appel puisque, si confirmée, elle aura pour effet d’opérer un changement énorme en matière de recouvrement dans le cadre d’un recours collectif. Rien pour rassurer les compagnies qui font présentement face à des recours collectifs…