Bail commercial: le négligé

Je tenais à débuter l’année sur une note légère par le style de rédaction que j’emploierai, mais je vous avoue d’emblée que le sujet traité dans cet article est plutôt lourd pour moi…parfois.

Ma collègue Me Stéphanie Beauregard, lors de son dernier article, mentionnait à raison que la bête noire trônant bien haut dans ma liste était la perception erronée de certains quant à la complexité des baux commerciaux et leur importance dans les relations d’affaires entre les parties (voir à ce sujet : Rédaction des baux commerciaux : les experts dévoilent leurs bêtes noires, 20 décembre 2012, article Me Stéphanie Beauregard).

Le présent article n’est pas une ode à la profession d’avocat en louage commercial, ni une opération de marketing pour redonner au bail commercial, l’estime qu’il mérite. Je ne ferai que relater des faits que je constate trop souvent, en illustrant ceux-ci par des exemples de situations récemment vécues.

Un ami m’avise qu’il a loué un local commercial à Laval. Bien fier, il y fera des opérations de moulage de contenants de plastique avec machinerie complexe et clients aux quatre coins du globe : que du succès en perspective. « J’ai commencé la semaine dernière. J’ai presque terminé mes améliorations dans les locaux. », me dit-il. Je lui demande alors comment s’est déroulé la négociation et la signature de son bail. « Je ne l’ai pas encore signé. Le bailleur me le remettra la semaine prochaine..! » me dit-il en riant. Bref, il n’est pas très inquiet, le bailleur lui a remis les clés et ils se sont entendus verbalement sur les travaux à réaliser dans les lieux loués. Bon…je ne suis pas très inquiet non plus, même s’il n’y a pas eu d’offre de location, les parties ont manifestement une entente de bail : un emplacement déterminé dans le quartier industriel pour 5 ans et le loyer est convenu. Pas de contrat écrit : le Code civil s’applique. Je n’étais pas inquiet avant que mon ami m’appelle pour me demander de « jeter un œil » sur le contrat que le bailleur lui avait fourni. « Ne fait que jeter un œil, je ne veux pas que tu mettes du temps là-dessus.», me dit-il. « Je signe demain matin, à 8h. ». Nous étions la veille, 21h…

Rageant pratiquement à chaque phrase du contrat, je constate que le celui-ci ne représente pas du tout ce que les parties avaient discuté. La clause d’ajustement du loyer ne fonctionnait pas, la durée était imprécise et les lieux loués étaient mal identifiés. Je vous épargne toutes les autres incongruités que j’ai pu rencontrer lors de ma lecture. Le « coup d’œil » fut finalement une révision complète du contrat et j’ai produit un « mark up » de mes commentaires afin de protéger mon client. « Ah…je comprends un peu mieux ce que tu fais maintenant… », me dit-il le soir même lorsque je lui ai fait parvenir mes commentaires et tous furent acceptés par le bailleur.

Une autre cliente lors d’une soirée me mentionne qu’elle vient tout juste d’emménager dans ses nouveaux locaux. Elle y opère un salon d’esthétique. Elle signa son bail sans me le soumettre. « Je n’ai pas eu le temps. » me dit-elle. « Je devais signer absolument le contrat sans changement, sinon je ne pouvais prendre possession.. ». Espérons que les relations d’affaires de ma cliente ne seront pas gouvernées sous ce joug de terreur de la part du bailleur! Je serai aux aguets, et nous avons tout de même publié son bail… c’est déjà ça de gagné, en lui mentionnant que pour le prochain bail (si prochain il y a)…eh bien tout se négocie.

Comme dernier exemple, une collègue me contacte récemment pour me demander si je peux aider l’un de ses clients. La demande du client était particulière puisque ce dernier souhaitait obtenir un modèle standard de bail commercial qu’il pourrait « remplir » lui-même. Ma collègue eu la présence d’esprit de lui mentionner que cela était déconseillé et qu’il serait plus judicieux que ce boulot soit fait par un avocat s’y connaissant. Ajuster un bail commercial pour qu’il représente réellement l’intention des parties ce n’est pas comme faire de la peinture à numéro…et tous ne peuvent s’improviser expert en louage commercial. Je pense que plusieurs collègues seront d’accord sur ceci et je ne crois pas me tromper en disant qu’ils doivent aussi faire face à ces défis dans leurs champs de pratique respectifs.

Les clients nous disent souvent qu’ils souhaitent obtenir nos dix commentaires principaux lors d’une révision d’un contrat, que nous nous limitions à soulever les points majeurs ou encore, uniquement les « show stoppers ». Satisfaire les clients, voilà notre devise, mais il doit aussi être notre devoir de bien expliquer l’importance des écrits.

La jurisprudence foisonne de cas où les parties se retrouvent devant les tribunaux pour régler un litige ayant pour source un bail imprécis. Je constate malheureusement que le bail commercial est trop souvent négligé par certains gens d’affaires. Comme argumentaire pour contrer cette mauvaise perception, disons simplement que les baux commerciaux constituent l’actif principal d’un propriétaire d’immeuble et que sans baux à l’appui, plusieurs institutions financières ne financeront pas des projets immobiliers d’envergure. Il en va de même pour un prêt aux petites et moyennes entreprises pour un locataire « startup ». Source de revenu principal du côté du bailleur, le loyer s’agit souvent de la plus importante dépense pour un locataire. L’engagement financier considérable, parfois des millions de dollars sur plusieurs années, requiert que l’on s’attarde à ce que le contrat représente réellement l’intention des parties, de façon claire et précise. Le bail commercial est complexe, important et précieux. Il ne doit pas être négligé.

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