Proportionnellement vôtre…
J’ose espérer que vous ne pensiez pas vous être débarrassé de moi si facilement chers lecteurs. Pour notre premier rendez-vous de 2013, j’aimerais revenir sur un sujet dont nous avons discuté ensemble en avril dernier, celui de l’application des principes de proportionnalité en matière de recours collectif. En effet, le 16 avril 2012, dans une chronique intitulée Quid la proportionnalité?, je soulignais que les tribunaux québécois en étaient venus à la conclusion que l’introduction de la notion de proportionnalité dans le Code de procédure civile n’avait pas ajouté un critère additionnel pour l’autorisation d’un recours collectif, mais que la proportionnalité devait plutôt être appliquée dans l’analyse des quatre critères traditionnels pour l’autorisation.
Ceci étant dit, à la lumière du manque d’uniformité dans la jurisprudence, je concluais ma chronique comme suit: “[c]’est pourquoi, dans l’état actuel de la jurisprudence, il est difficile de répondre à la question de savoir si la proportionnalité a une quelconque place en matière de recours collectif“. Or, dans sa récente décision de Lorrain c. Petro-Canada (2013 QCCA 332), la Cour d’appel est venue donner un éclairage nouveau sur la question.
Dans cette affaire, les Appelants se pourvoient contre un jugement de l’Honorable juge Michèle Lacroix qui a rejeté leur requête en autorisation d’exercer un recours collectif contre les Intimées. Le recours proposé des Appelants cherchait à obtenir réparation pour le préjudice qu’auraient subi les membres du groupe pour le compte duquel ils agissent par suite du calibrage prétendument fautif des pompes à essence sous le contrôle des Intimées. À cause de ce défaut, ces membres auraient payé pour des quantités d’essence plus élevées que celles effectivement livrées.
Sans discuter de toutes les questions qui se soulevaient dans cette affaire, notons que la juge Lacroix en est venue à la conclusion que les faits allégués ne paraissaient pas justifier les conclusions recherchées (art. 1002 b) puisque les Appelants avaient été incapables de produire des factures prouvant qu’ils avaient acheté de l’essence dans les stations pertinentes. En sommes, la juge a conclu que les Appelants n’avaient pas fait la preuve d’un préjudice direct et personnel.
En appel, les Appelants font valoir que, si on leur en donnait l’occasion, ils pourraient sans doute faire éventuellement une preuve d’un tel préjudice direct et personnel.
Pour l’Honorable juge Benoit Morin, écrivant au nom d’un banc unanime, cette réponse n’est pas satisfaisante et est contraire au principe de la proportionnalité:
[84] Cette prétention se heurte à la règle de la proportionnalité selon l’article 4.2 C.p.c., règle que notre collègue, le juge Pelletier, a appliquée dans l’arrêt Agropur c. Bouchard et dans l’arrêt Lallier c. Volkswagen, comme je l’ai déjà souligné en traitant des principes généraux applicables au stade de l’autorisation du recours collectif.
[85] Tout d’abord, si les personnes désignées par l’APA intentaient un recours individuel, il serait extrêmement difficile pour elles de prouver qu’elles ont subi un préjudice. Lors de son témoignage, M. Gamache a déclaré que, outre les cas où il dispose de factures, il est impossible pour lui de se rappeler des stations-service qu’il a fréquentées, de la pompe utilisée et de la date à laquelle il a effectué des achats d’essence. Même scénario pour M. Cadieux. Les personnes désignées ne disposent d’aucune preuve directe de préjudice à l’encontre d’aucune des cinq compagnies intimées et ne sont pas en mesure de témoigner relativement à d’autres achats d’essence où elles ont possiblement subi un préjudice.
[86] De surcroît, parmi les factures présentées, un bon nombre d’entre elles ne concernent pas des stations-services inspectées par Mesures Canada. En fait, aucune des deux personnes désignées n’a fait l’exercice de vérifier si elle possédait des factures concordantes avec les données de Mesures Canada.
[87] En somme, il serait contraire au principe de proportionnalité énoncé à l’article 4.2 C.p.c. d’autoriser un recours collectif dont la preuve repose uniquement sur des hypothèses fortement contestées (la faute, le préjudice, le lien contractuel, l’intérêt juridique) et basées essentiellement sur des données purement statistiques. Autoriser un recours fondé sur une telle preuve contreviendrait au principe d’économie des ressources judiciaires.
[88] Je suis donc d’avis que la juge a eu raison de décider que le recours collectif soumis à son examen ne remplissait pas les conditions prévues au paragraphe 1003 b) C.p.c.
Cette application de la règle de la proportionnalité est intéressante et, à mon avis, très juste puisqu’elle sert à renforcer le principe voulant que le recours collectif n’est pas un moyen de conduire une enquête générale sur les activités d’une partie défenderesse ou à punir cette dernière pour un comportement quelconque. Nos lecteurs assidus connaissent déjà ma citation préférée en matière de recours collectif et il me semble approprié de la reproduire encore une fois:
[48] Or, un comportement fautif ne donne naissance à une créance basée sur la compensation de la perte subie que si, et seulement si, dans les faits, cet acte a provoqué un dommage, a causé un préjudice. Le recours collectif n’est pas le moyen de punir un contrevenant à la loi, mais bien seulement d’indemniser un groupe de personnes pour des pertes réelles subies en commun.
– Harmegnies c. Toyota Canada Inc. (2008 QCCA 380).