Le louage commercial, la lettre de crédit et … l’erreur de la banque!

L’énoncé de ce trio constitue la trame de fond de cette histoire.  En effet, il y eut la location d’un emplacement commercial ainsi que l’erreur de la banque quant à l’échéance d’une lettre de crédit bancaire dont le bénéficiaire était le bailleur.  Voyons voir qui en paiera le prix!

C’est ce sur quoi la Cour supérieure eut à se pencher le 3 avril 2013 sous la plume de Monsieur le juge David R. Collier dans l’affaire Banque Toronto-Dominion c. Pierre Labrecque et Thérèse Guertin et Riocan Holdings (Québec) inc., cette dernière à titre de défenderesse en garantie (2013 QCCS 1375).

En effet, il appert qu’une lettre de crédit bancaire se devait d’être remise au bailleur suivant la signature d’une offre de location et ce, afin de garantir les obligations du locataire, le tout, pour une période de 180 jours.   Afin d’émettre ladite lettre de crédit, la banque a requis du locataire que soit signée une Convention d’indemnisation où le locataire autorisait la banque à émettre ladite lettre de crédit et qu’il indemniserait la banque pour toute perte en résultant, s’il y a lieu.  Il y était de plus prévu que la lettre de crédit pouvait être prolongée ou renouvelée à moins d’avis contraire de la part du locataire à la banque.

La lettre de crédit fut émise par la banque le 11 août 2008 non pas pour une période de 180 jours, tel que demandé par le représentant du locataire, M. Labrecque, mais plutôt pour une période d’un an.  D’ailleurs, copie de cette lettre de crédit n’avait jamais été transmise au locataire.

Au début de février 2009, alors que la période de 180 jours arrivait à son échéance, M. Labrecque demanda à la banque de lui remettre la somme de 100 000 $ qui servait de dépôt de sécurité pour la lettre de crédit.  C’est à ce moment que la banque réalisa qu’une erreur avait été commise et que la lettre de crédit était toujours valide et ce, jusqu’au 11 août 2009, soit pour une période de six mois supplémentaires.  La banque décida tout de même de remettre à M. Labrecque ladite somme de 100 000 $.

Le locataire étant en défaut pour le non-paiement de son loyer, le bailleur écrivit à la banque le 6 mars 2009 afin que la somme de 100 000 $, dont faisait état la lettre de crédit, lui soit remise, ce que la banque fit le 13 mars suivant. 

Par la suite, la banque mit en défaut le locataire et l’avisa de plus que sa marge de crédit était suspendue.

Le 8 mai 2009, une mise en demeure fut expédiée par la banque à Pierre Labrecque et Thérèse Guertin réclamant le paiement de ladite somme et ce, sur la base de leur garantie personnelle.  Une action fut intentée par la banque le 10 juillet 2009.  Entre-temps, le locataire quitta les lieux loués invoquant qu’ils étaient insalubres.

La 1re question en litige que le juge eut à trancher est de savoir si la banque avait droit de réclamer la somme de 100 000 $ au locataire suite au paiement fait au bailleur.

Il fut admit que la banque avait commis une erreur mais la banque tenta tout de même d’invoquer la confusion quant à la date de début de la durée de l’offre de location et conséquemment, quant à la date de début de la lettre de crédit, ce que le juge rejeta.

Les défendeurs ont refusé de rembourser la banque invoquant l’erreur de celle-ci.  S’il n’y avait pas eu erreur quant à la date d’échéance de la lettre de crédit, la banque n’aurait pas eut à payer le bailleur.

La cour conclut que :

[38]        The Court finds that under the terms of the agreement between 9197 and the Bank, the letter of credit had expired on March 6, 2009 when payment was made to RioCan.  Consequently, the Bank has no recourse against 9197, or the defendants as guarantors, to recover the payment.”

La 2e question en litige est de savoir si les procédures judiciaires intentées par la banque sont abusives et donnent droit à une réclamation en dommages compensatoires, moraux et punitifs.  La cour en vient à la conclusion sur ce point qu’aucune preuve n’ait été démontrée à cet effet.

La 3e question en litige est de savoir si la banque a droit au remboursement de la somme de 100 000 $ par le bailleur et d’être indemnisée advenant le cas où la banque doive payer des dommages aux défendeurs.

Sur ce le juge Collier fut assez clair en ces termes :

[51]        It is settled law that a letter of credit is an autonomous contract binding the issuer and the beneficiary.  If the beneficiary makes a demand for payment that is in apparent conformity with the terms of the instrument, the Bank must pay.  The Bank cannot refuse to honour the draft because of a dispute between the parties to the underlying contract, except in cases of fraud.[2]

[52]        It is not clear why in this case the letter of credit referred to a lease dated July 25, 2008, since no such agreement was ever signed by 9197 and RioCan.  It appears, however, that the parties intended to replace the offer to lease (DG-1) with a final lease bearing the July date (DG-5).  Had this occurred, 9197’s rental obligations under DG-1 would have continued under the lease.

[53]        According to the evidence, 9197 owed rent to RioCan in March 2009.  Therefore, it cannot be concluded that RioCan’s demand for payment was fraudulent, even if the letter of credit and RioCan’s demand for payment referred to an unsigned lease agreement.

[54]        It follows that the Bank had no grounds to refuse payment in March 2009, and that the Bank’s claim for recovery from RioCan cannot succeed.”

En conclusion, le juge rejeta l’action de la banque autant en ce qui a trait aux défendeurs, à titre de débiteurs qu’en ce qui a trait au bailleur, à titre de créancier.

Qu’en est-il de la lettre de crédit?

Tel qu’énoncé dans le jugement dont il est question dans le présent billet, la lettre de crédit est un contrat autonome liant l’émetteur et le bénéficiaire.  Si le bénéficiaire fait une demande de paiement qui est en conformité apparente avec les termes de la lettre de crédit, l’institution financière doit payer, cette dernière ne pouvant refuser d’honorer ses engagements en raison d’un différend entre les parties au contrat qui les lie, sauf en cas de fraude.

Ainsi, afin de garantir l’accomplissement par le locataire de ses obligations en vertu d’un bail, il est fréquent dans les baux commerciaux que le bailleur exige de son locataire, entre autres formes de garantie, une lettre de crédit bancaire.  Dès que cette lettre est émise par l’institution financière, il est important qu’autant le bailleur que le locataire ou toute partie intéressée en valide les informations pour ajuster le tir advenant qu’une erreur se soit glissée, évitant ainsi des litiges, tout comme en l’espèce.

Il sera de plus important, voire même primordial, de gérer les dates d’échéance de ces lettres de crédit en les consignant à l’agenda pour, dans le cas du bailleur, voir à sa réclamation si défaut du locataire il y a ou encore à l’inverse, pour le locataire, voir à recouvrer les garanties mises en place auprès de son institution financière afin que soit émise cette lettre de crédit et ce, s’il a respecté toutes les obligations prévues à son bail commercial.

Comme le dit le proverbe :  L’erreur est humaine … certes, mais la banque dans ce cas-ci ne peut qu’en être seule responsable!

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