L’obligation de renseigner du donneur d’ordre

Le lancement d’un appel d’offres implique traditionnellement de la part du donneur d’ordre le respect d’un certain nombre d’obligations visant principalement à assurer l’intégrité du processus et l’égalité des soumissionnaires. Parmi les obligations qui retiennent moins l’attention, il faut signaler l’obligation du donneur d’ordre de divulguer aux soumissionnaires les informations requises pour leur permettre de soumissionner en toute connaissance de cause. Dans le cadre de la préparation de ma prochaine formation sur les aspects juridiques des devis techniques, j’ai constaté que cette obligation de renseigner mérite que l’on s’y attarde quelque peu.

Cette obligation prend sa source, à l’enseigne de la bonne foi, dans les articles 6, 7 et 1375 du Code civil du Québec. Elle sert principalement à éviter qu’un contrat issu d’un appel d’offres fasse l’objet d’un vice de consentement de la part d’un adjudicataire mal renseigné.

Dans le contexte particulier d’un appel d’offres où il n’y a pas de négociation entre les parties qui précède la formation du contrat, l’obligation de renseigner du donneur d’ordre doit s’apprécier en fonction d’un ensemble de facteurs qui font en sorte que l’enveloppe de cette divulgation obligatoire peut varier considérablement d’un appel d’offres à l’autre.

Il est reconnu que toute personne qui désire soumissionner doit prendre le temps de se renseigner avant de déposer une soumission.  Cette règle fondamentale fait en sorte que l’obligation de renseigner d’un donneur d’ordre peut se limiter à la tenue d’une séance d’information et à une réponse diligente aux questions posées par les personnes intéressées à soumissionner, sans plus. Cette règle n’a cependant rien d’absolu. Elle doit s’apprécier en fonction de certaines variables qui peuvent limiter son application.

La première variable à signaler est le temps alloué aux personnes désireuses de soumissionner pour se renseigner convenablement sur le marché proposé avant de déposer leur soumission. Si le marché proposé exige, en raison de sa complexité ou de son importance, beaucoup de vérifications pour être en mesure d’établir un prix et si le temps alloué est suffisant pour effectuer de telles vérifications, l’obligation de divulguer demeure minime. En revanche, si le temps alloué pour répondre à l’appel d’offres est très court, voire même insuffisant, cela oblige le donneur d’ordre à divulguer plus d’information dans les documents d’appel d’offres pour compenser ce manque de temps.

À défaut, le donneur d’ordre risque de se faire reprocher, lors de la découverte d’un élément imprévu, qu’il ne s’agit pas d’une erreur ou omission de la part de l’adjudicataire dans l’établissement de son prix dont il ne peut se plaindre, mais plutôt d’un manquement de la part du donneur d’ordre de lui divulguer cette information. Le cas échéant, l’adjudicataire pourrait ainsi avoir droit à une compensation monétaire additionnelle.  Pire encore, les tribunaux lui donneront probablement raison en apprenant les conditions difficiles imposées à l’adjudicataire pour se renseigner adéquatement préalablement à la formation du contrat.

La seconde variable digne de mention est la valeur du contrat. Plus elle est élevée, plus cela risque d’imposer une obligation de divulgation accrue à la charge du donneur d’ordre. En effet, il faut comprendre qu’un contrat de grande valeur implique un risque financier considérable pour l’éventuel adjudicataire. La seule façon de gérer efficacement ce risque dans le cadre d’un appel d’offres est de prévoir les difficultés inhérentes à l’exécution du contrat et d’anticiper les coûts s’y rapportant dans le prix. Pour ce faire, il faut avoir à sa disposition toute l’information pertinente à l’évaluation du marché proposé. Dans bien des cas, le donneur d’ordre la possède ou peut facilement l’obtenir. Pourquoi ne pas en faire profiter les soumissionnaires, en lui imposant l’obligation de la divulguer lorsque l’enjeu monétaire le justifie?  En guise d’illustration de l’impact potentiel de cette variable, il suffit de mentionner l’affaire G.M.C. Construction Inc. c. Terrebonne (Ville de), J.E. 95-1291 (C.S.) où il a été décidé, dans un projet de construction d’importance, que la ville doit procéder à une étude de sol et la communiquer aux soumissionnaires.

Enfin, une troisième variable à retenir concerne l’expertise des personnes qui soumissionnent. Il arrive parfois que l’expertise du donneur d’ordre dépasse celle des soumissionnaires. Dans un tel cas, les tribunaux considèrent que le donneur d’ordre doit partager cette expertise avec les soumissionnaires. Il ne peut la retenir et s’attendre à ce qu’un soumissionnaire succombe à son manque d’expertise sans avoir à le dédommager. Un bel exemple d’une telle situation nous provient de l’affaire Walsh & Brais inc. c. Montréal (Communauté urbaine), 2001 CanLII 20665 (QC CA), où il a été reconnu par le tribunal que les ingénieurs de la Communauté urbaine  de Montréal jouissent, en raison des travaux d’une station de Métro à proximité du futur chantier, d’une plus grande connaissance du sous-sol montréalais que les firmes qui se spécialisent dans les travaux de forage. La CUM ne pouvait donc profiter d’une méconnaissance du sous-sol par l’adjudicataire qui rencontre des difficultés inattendues (effondrement) lors du forage attribuable à une condition du sous-sol connue des ingénieurs de la CUM.

À la lumière de ce qui précède, il ne faut pas qu’un donneur d’ordre se retranche derrière l’obligation du soumissionnaire de bien se renseigner pour réduire au minimum son obligation de divulguer l’information qu’il possède. Dans le doute, il vaut mieux en divulguer plus que moins si cela peut mettre un donneur d’ordre à l’abri de tout reproche à cet égard.

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