Contrats publics: le refus d’accorder une autorisation en vertu de la LCOP et le respect du droit à une défense pleine et entière
La semaine dernière, je publiais un blogue qui examinait une décision dans laquelle la Cour supérieure a rejeté une requête en révision judiciaire contestant le refus de l’AMF d’accorder une autorisation en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics («LCOP»). Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel reflétant une certaine tendance des tribunaux à rejeter les requêtes en révision judiciaire en matière d’autorisation de contracter avec les organismes publics. Or, il est intéressant de se pencher sur les cas où les tribunaux ont accueilli une telle requête.
À ce sujet, la décision Terra Location inc. c. Autorité des marchés financiers s’avère pertinente. Dans cette affaire, l’entreprise de construction Terra Location inc. («Terra») demande la révision d’une décision de l’AMF refusant d’accorder l’autorisation de contracter avec un organisme public pour une somme supérieure à 5 millions de dollars.
Dans sa requête, Terra reproche notamment à l’AMF de ne pas avoir respecté les règles d’équité procédurales. Plus précisément, elle allègue que l’AMF a fait défaut de respecter la règle audi alteram partem et, par le fait même, son droit à une défense pleine et entière. Les faits reprochés à l’AMF se résument comme suit :
[31] Tout d’abord, le préavis de refus transmis par l’AMF le 17 février 2014 précise à Terra que « […] l’Autorité des marchés financiers […] a reçu du Commissaire associé […] un avis à l’égard de Terra indiquant qu’il est recommandé de refuser l’autorisation demandée ».
[32] Le préavis reprend ensuite, à quelques mots près, les quatre motifs énoncés à l’avis défavorable du Commissaire associé, et celui qui nous intéresse particulièrement reproche à Terra celui d’avoir éludé ou tenté d’éluder l’observation de la loi « en utilisant deux sous-traitants identifiés comme étant des fournisseurs de factures de complaisance ».
[33] Le fait de soulever ainsi l’existence de factures de complaisance constitue évidemment une accusation sérieuse, qui met directement en cause l’intégrité de la demanderesse et de ses administrateurs. […]
[34] On remarque bien sûr – au contraire de ces deux précédents – que Terra n’est pas accusée d’avoir participé à un système de fausse facturation ou d’avoir demandé des factures de complaisance, mais plutôt d’avoir utilisé deux sous-traitants qui fourniraient de telles factures.
Le préavis de refus décrit ci-dessus est émis en vertu des articles 21.37 LCOP et 5 de la Loi sur la justice administrative. L’envoi de cet avis est suivi d’une période permettant au requérant de présenter ses observations. Ainsi, comme l’allégation concernant les factures de complaisance ne précisait pas le nom des sous-traitants visés, Terra a demandé des explications additionnelles à l’AMF. Or, la réponse de cette dernière n’a pas permis à Terra d’obtenir les précisions nécessaires pour être en mesure de présenter ses observations. En effet, l’AMF lui a simplement indiqué qu’elle ne disposait pas de l’information permettant d’identifier les sous-traitants.
L’AMF soutient plutôt que Revenu Québec a identifié les sous-traitants en question et que conséquemment, Terra possédait l’information nécessaire afin de présenter ses observations.
Dans sa décision, la Cour donne d’abord raison à Terra quant à la norme de contrôle applicable au motif fondé sur l’équité procédurale. En effet, elle précise qu’en cas d’atteinte à un principe de justice naturelle, c’est la norme de décision correcte qui trouve application.
La Cour est d’avis que le manque de précisions de l’AMF soulève les questions suivantes:
a) comment Terra fait-elle pour se défendre à ces accusations, sans connaître l’identité de ceux qu’on lui reproche de fréquenter, ni la date de ces fréquentations?
b) comment Terra fait-elle pour aller chercher de l’information préalable auprès des autorités fiscales, quand seule la décision finale du 6 juin 2014 réfère à Revenu Québec? Où doit-elle chercher l’information?
c) Revenu Québec aurait-elle révélé l’identité des deux sous-traitants à Terra – l’eût-elle demandé – alors qu’elle ne fournissait même pas l’information à son alliée l’UPAC, et encore moins à l’AMF?
d) Dans ces circonstances, comment peut-on sérieusement prétendre avoir informé l’administré de « la teneur des plaintes » qu’on lui adresse (selon l’article 5 LJA), ou que celui-ci connaît « les faits qu’on entend lui opposer » (selon l’arrêt May).
Ainsi, la Cour conclut à une violation des règles d’équité procédurale puisque Terra n’était pas en mesure «de se défendre à une accusation particulièrement vague, et par surcroît non contrôlée par l’autorité qui lui reproche». Elle estime qu’il ne revient pas à Terra de «compléter la preuve de ce dont on l’accuse, dans ces circonstances où l’AMF ignore elle-même la nature précise et l’ampleur de ce qu’elle [lui] reproche».
Vu le non-respect du droit de Terra à une défense pleine et entière, la Cour a invalidé la décision de l’AMF.
Cette décision nous enseigne donc que le préavis de refus émis en vertu de la LCOP doit indiquer l’information nécessaire afin que l’entreprise soit en mesure de présenter ses observations, sans quoi un tel refus pourrait porter atteinte aux règles d’équité procédurale.