Appel d’offres en construction : l’entrepreneur détient-il la licence appropriée?

L’état du droit sur la question est clair : la détention des licences appropriées par les soumissionnaires constitue une condition sine qua non à l’adjudication des contrats de construction.

Ainsi, il va de soi que le donneur d’ordres n’adjugera pas un contrat en faveur du soumissionnaire le plus bas si celui-ci ne possède pas les licences requises par la nature des travaux à réaliser. Pour cette raison, la description des travaux dans les documents d’appel d’offres doit être claire.

Dans une décision récente, la Cour supérieure a condamné le M.T.Q. au paiement de dommages correspondant aux gains manqués et aux pertes subies par Construction TRB inc. («TRB») – entrepreneur en construction – pour avoir rejeté la soumission de ce dernier faute de détenir la licence requise.

Au terme de son analyse, la Cour est d’avis que deux licences différentes permettaient à TRB d’effectuer les travaux et que puisqu’il détenait l’une d’entre elles, le M.T.Q. a eu tort de rejeter sa soumission.

Plus précisément, l’appel d’offres vise la construction d’un ponceau. À la lumière du rapport de soumissions, TRB a présenté la soumission la plus basse. Or, le M.T.Q. rejette sa soumission puisqu’il ne détient pas la licence appropriée. De son côté, TRB estime que la licence qu’il possède est suffisante pour réaliser les travaux et réclame 332 773,68$ à titre de frais généraux, profits et coûts d’estimation.

D’entrée de jeu, la Cour rappelle que pour réussir dans sa réclamation, TRB doit prouver la faute du M.T.Q., les dommages, soit les pertes subies et gains manqués, ainsi que le lien de causalité.

Après avoir examiné la nature des travaux à réaliser, la Cour est d’avis que la détention de l’une des deux licences mentionnées ci-haut est suffisante et se prononce comme suit:

[63]      Si le M.T.Q. désire confier des travaux à une entreprise qui possède des compétences découlant d’une licence particulière, il lui revient, à titre de donneur d’ordres, de définir les travaux de telles sortes que l’on puisse identifier l’objet principal du contrat.  Dans les cas où cette identification permet à des entrepreneurs détenant diverses licences de déposer une offre, le donneur d’ordres sait que l’objet du contrat peut alors être accordé à des entrepreneurs pouvant détenir l’une ou l’autre de ces licences, comme les tribunaux l’ont reconnu.  Dans le présent dossier, les licences 1.4 et 1.5 permettent l’exécution des travaux relatifs ce ponceau.

Le M.T.Q. a donc commis une faute en rejetant la soumission de TRB. Quant au lien de causalité, la Cour explique que la soumission de TRB aurait été retenue, n’eût été cette faute puisque :

1. L’entrepreneur a remis la plus basse des soumissions;

2. La soumission est conforme;

3. L’entrepreneur est apte à réaliser les travaux.

En ce qui concerne l’évaluation des dommages, la Cour peut soit, 1) s’appuyer sur l’«évaluation fiable et réaliste suivant le détail de l’évaluation des travaux remise par le soumissionnaire», ou 2) se fier sur la «profitabilité du soumissionnaire au cours des années suivant l’analyse des états financiers de ce dernier».

Après analyse, la Cour retient la deuxième méthode. En effet, elle estime que la soumission de TRB n’est pas suffisamment fiable pour être en mesure d’utiliser la première méthode. Premièrement, comme TRB a l’intention de confier une bonne partie des travaux à un sous-traitant, les profits estimés doivent être répartis entre eux. Puis, la Cour est d’avis que les coûts du projet n’ont pas fait l’objet d’une évaluation convaincante.

Ainsi, la Cour choisit plutôt d’évaluer les dommages en fonction de la profitabilité de TRB à l’égard de contrats comparables qu’il a réalisés. Partant, elle se prononce comme suit:

[78]      L’entrepreneur qui se voit privé d’un contrat peut réclamer son profit net sur tels travaux.  Afin de réaliser des travaux, l’entrepreneur doit participer à des appels d’offres.  Il engage des frais pour maintenir l’entreprise en mesure d’obtenir des contrats.  Ces frais sont répartis sur l’ensemble des contrats exécutés durant son année financière.

[79]      Les frais de siège (exemple : locaux, équipement, fourniture, employés nécessaires à la préparation d’une soumission) sont des dépenses nécessaires au maintien de l’entreprise afin qu’elle obtienne des contrats.  Ces dépenses sont assumées par l’ensemble des contrats obtenus par l’entrepreneur.  Une partie de ces dépenses sont épongées à même la marge bénéficiaire (bénéfice brut) de l’entrepreneur sur le contrat qui n’a pas été exécuté parce qu’il en a été privé.

[80]      Règle générale, les entreprises incluent dans la marge bénéficiaire, les « frais généraux et profits » (voir par. 9 de la défense) ou encore « administration des profits».

[81]      Les frais d’administration se composent à la fois de l’administration proprement dite du contrat perdu et des frais d’administration de l’ensemble des coûts relatifs au maintien de l’entreprise afin qu’elle obtienne de nouveaux contrats.  Les premiers doivent être écartés, le contrat n’étant pas réalisé.  Les seconds constituent une perte réclamable en sus du profit net.  Cette perte réclamable est composée principalement des frais de siège qui sont nécessaires au maintien de l’entreprise afin de déposer de nouvelles soumissions et de maintenir ses activités.

Ce faisant, la Cour revoit à la baisse la réclamation de TRB en lui accordant 64 481,28$, soit 21 893,76$ pour les gains manqués et 42 587,52$  pour les pertes subies.

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