Exceptionnellement, une municipalité peut tacitement se lier à un contrat
Règle générale, la théorie du mandat apparent s’applique à l’Administration gouvernementale. Ainsi, cela signifie que les fonctionnaires peuvent engager contractuellement l’Administration lorsque les conditions de la théorie du mandat apparent sont réunies, et ce, sans autorisation législative.
Or, cette règle comporte une exception: la théorie du mandat apparent ne trouve pas application à l’égard des organismes infragouvernementaux telle une municipalité. En effet, ce sont les lois constitutives des municipalités qui leur permettent de contracter, le plus souvent par voie d’adoption de résolutions ou de règlements.
Cependant, la jurisprudence apporte plusieurs nuances à cette exception. Les tribunaux ont, à plusieurs reprises, reconnu que les municipalités peuvent contracter implicitement. C’est en s’appuyant entre autres sur ce courant jurisprudentiel que la Cour supérieure a récemment statué que la Ville de Québec (la «Ville») s’est engagée tacitement dans un partenariat avec GM Développement inc. («GM»).
Dans les faits, GM propose à la Ville un projet de revitalisation de la Place Jacques-Cartier. Ce faisant, les parties s’impliquent ensemble dans la phase de développement du projet. Or, après environ 3 ans, la Ville ne souhaite pas poursuivre le projet avec GM. Cette dernière réclame donc le remboursement des honoraires professionnels découlant du développement du projet, en plus de réclamer des dommages pour «perte d’opportunité d’affaires».
Au soutien de sa demande, GM invoque que «les parties ont implicitement conclu une entente à l’automne 2005 pour le projet de revitalisation». Quant à la Ville, celle-ci prétend que comme il n’y a pas de résolution autorisant l’octroi d’un tel contrat à GM, aucune entente n’est intervenue. Elle souligne de plus qu’il s’agit d’un contrat d’une valeur de plus de 100 000$ nécessitant le lancement d’un processus d’appel d’offres, ce qui n’a pas eu lieu en l’espèce. La Ville rejette également la théorie du mandat apparent en indiquant que ses fonctionnaires ne peuvent la lier contractuellement.
D’entrée de jeu, la Cour entame son analyse en réitérant les principes applicables en matière de mandat apparent. Elle précise que bien que cette règle ne s’applique pas aux municipalités, certaines circonstances exceptionnelles peuvent l’engager contractuellement:
[116] En somme, le Tribunal retient que, de manière exceptionnelle, une municipalité peut, par sa conduite ou celle de ses fonctionnaires, s’engager contractuellement en exprimant tacitement son consentement, selon les circonstances particulières dégagées par la jurisprudence, notamment :
- Si le contrat est légal et ne contrevient pas à l’ordre public;
- Le fait que la municipalité ait autorisé le cadre général des travaux ou déjà attribué des sommes pour l’exécution des travaux;
- Lorsque, par ses actions, ses interactions avec le demandeur ou le promoteur, ou son comportement, la municipalité ou ses fonctionnaires approuvent implicitement ou ratifient le contrat;
- Si des fonctionnaires autorisés fournissent des instructions ou des autorisations au demandeur ou au promoteur, particulièrement dans la mesure où il existe une relation juridique préexistante entre les parties;
- Le fait que la municipalité s’associe formellement ou encourage le projet du demandeur ou du promoteur;
- Le fait que le projet ou les interactions entre la municipalité et le promoteur soient publics ou que la municipalité prenne des actions publiques dans le sens de la réalisation du projet;
- Si le demandeur ou le promoteur agit de bonne foi;
- Si le contrat est à l’avantage et profite à la municipalité et à ses citoyens, ou si ceux-ci n’en subissent aucun préjudice;
- Lorsque la municipalité invoque le défaut d’accomplir des formalités administratives, mais ne plaide pas ou n’invoque pas de manière spécifique les fondements des exigences obligatoires.
Tout en précisant que la Ville ne s’est engagée que pour la phase de développement du projet, la Cour conclut que plusieurs éléments militent en faveur de l’existence d’un partenariat entre la Ville et GM. Cette relation s’est cristallisée lorsque «l’accompagnement est devenu partenariat avec GM». Parmi les éléments ayant amenés la Cour à cette conclusion, on retrouve notamment le fait que:
1) GM se conformait aux directives de la Ville;
2) la Ville a alloué un montant de 1,5 million de dollars pour les frais de services professionnels liés au projet;
3) la Ville a suspendu l’exécution de contrats de services professionnels intervenus avec des architectes afin de travailler avec GM;
4) le directeur général a approuvé la phase de développement du projet;
5) la Ville a autorisé une demande de dérogation au zonage de GM;
6) elle a adopté les plans de construction par voie de règlement.
À cela, la Cour ajoute qu’il ne s’agit pas d’une entente illégale ou contraire à l’ordre public. De plus, ce partenariat était public «et les actions officielles de la Ville donnaient à croire que le projet de développement était autorisé au plan municipal».
Nuance importante: la Cour compare le partenariat des parties avec la terminologie utilisée en matière d’appel d’offres, soit celle du «contrat A» et du «contrat B». En effet, ce partenariat «devait s’articuler entre deux volets: (1) la phase de développement du projet, et (2) la phase d’exécution du projet». Ainsi, la Cour est d’avis que la Ville ne s’est liée contractuellement que pour la première phase.
Pour ces raisons, la Cour condamne la Ville à payer les frais professionnels de GM, pour la phase de développement seulement, dans une proportion de 75%. Elle rejette donc la réclamation de GM quant à la perte d’opportunité d’affaires puisque la Ville ne s’est pas engagée pour la phase de réalisation du projet.
Il ressort donc de cette décision qu’exceptionnellement, une municipalité peut tacitement s’engager contractuellement sans qu’une résolution ou un règlement soit adopté.