Agence de placement de personnel : qui est l’employeur?
Au Québec, beaucoup d’organismes du réseau de la santé sont confrontés à une pénurie de personnel. Pour combler leurs besoins de personnel et, ultimement, respecter leurs obligations en matière de prestation de services de santé et de services sociaux, ils font ponctuellement appel à de la main-d’œuvre indépendante, par l’entremise d’agences de placement de personnel.
Dans un jugement très détaillé, qui touche à la fois le droit du travail et le droit des contrats publics, la Cour d’appel du Québec a récemment abordé la question suivante : lorsqu’un professionnel est assigné à un organisme du réseau de la santé en vertu d’un contrat conclu entre l’organisme et une agence de placement, qui est son employeur : l’organisme ou l’agence de placement ?
Dans ce cas précis, la question a été soulevée après que des professionnels en soins infirmiers aient été assignés à un hôpital par l’entremise d’agences de placement. Le syndicat des professionnels de cet hôpital a présenté une requête à la Commission des relations du travail (à présent, le Tribunal administratif du travail) pour lui demander de déclarer que les professionnels en soins infirmiers assignés par l’entremise d’agences de placement soient inclus dans son unité de négociation, d’où le débat autour du statut de ces professionnels.
Sans vouloir en faire un résumé exhaustif, le jugement étant très détaillé, voici quelques passages du jugement qui ont retenu notre attention.
Dans son jugement, la Cour d’appel fait tout d’abord un retour sur la décision du Tribunal administratif du travail et mentionne ce qui suit :
- le Tribunal administratif du travail a conclu que, dans tous les cas et dans toutes les circonstances, une personne qui dispense des soins infirmiers dans un établissement de santé doit être la salariée de cet établissement ;
- en pratique, cette conclusion a pour effet de rendre impraticable le recours à une agence de placement dans un établissement de santé ;
La Cour d’appel fait ensuite référence à la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) ainsi qu’à la loi 10[1], qui a modifié l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé il y a quelques années et a mené à la création des CISSS et CIUSSS. Elle fait les remarques suivantes à ce sujet :
- loin de décourager le recours au secteur privé pour assurer les services de santé, la LSSSS le permet explicitement ;
- ainsi, « il serait étonnant, sinon absurde » d’empêcher les établissements de santé de faire appel à des agences de placement lorsqu’ils sont incapables de combler les besoins autrement et qu’aucun autre moyen réaliste et efficace n’est disponible pour assurer l’accessibilité et la continuité des services ;
- il n’y a rien dans la loi 10 qui permet raisonnablement de conclure que les CISSS et CIUSSS seraient obligatoirement les employeurs des professionnels en soins infirmiers des agences de placement ; au contraire, ces lois ne modifient en rien les dispositions de la LSSSS permettant de recourir à ces types de contrats et ne modifient pas les définitions de « salarié » ou « employeur » du Code du travail.
Finalement, au sujet des différents critères qui, selon la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, permettent de déterminer l’identité de l’employeur (la sélection, l’embauche, la formation, la discipline, l’évaluation, la supervision, l’assignation des tâches et la rémunération, etc.), la Cour d’appel souligne qu’ils « semblent tous, du moins à première vue, relever des agences de placement ».
Vous pouvez consulter le jugement complet en ligne.
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[1] Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales, L.Q. 2015, c. 1.