Un testament par courriel… pas pour demain la veille

La pandémie a bouleversé bien des choses et accéléré l’implantation de la technologie dans notre quotidien. Elle n’a cependant pas changé un principe bien établi en droit successoral, soit que l’article 714 C.c.Q. ne peut servir à valider un testament qui ne respecte pas les conditions essentielles de l’une des formes de testament reconnues par la loi.

En effet, la Cour d’appel vient de réitérer ce principe dans l’arrêt Damary c. Bitton[1]. Dans cette décision, l’homme d’affaires Samy Bitton fait parvenir au moyen de son compte icloud un courriel à son notaire édictant de nouvelles directives quant à la dévolution de ses biens. Il précise dans ce courriel qu’il espère avoir le temps de signer son nouveau testament, et que sinon, « ceci est ma signature ». Malheureusement, M. Bitton n’aura jamais la chance de signer son testament : il sera emporté par la covid quelque temps après l’envoi de ce courriel.

En première instance[2], le juge vient tout d’abord rappeler que « Le droit québécois des testaments est fondé sur le principe du formalisme testamentaire. Cela signifie qu’un testament n’est valide et ne produit des effets que dans la seule mesure où il est établi selon les formes reconnues par la loi. […] Le principe du formalisme testamentaire signifie que, pour le législateur, le respect de ces formalités et des objectifs qu’elles poursuivent est jugé plus important que les dernières volontés d’un individu qui n’auraient pas été énoncées dans une des formes prévues par la loi. »

« L’article 714 C.c.Q. vient cependant tempérer les rigueurs du formalisme testamentaire en permettant au juge de considérer comme valide le testament olographe ou devant témoins qui ne respecte pas l’intégralité des formalités prévues par la loi, à la condition cependant qu’il y satisfasse “pour l’essentiel” et que l’écrit fasse clairement état d’un animus testandi, c’est-à-dire une intention non équivoque de la part de l’auteur du document d’exprimer ses dernières volontés par opposition à un simple projet. »

Or, le courriel de M. Bitton ne respecte aucune des formalités jugées essentielles de l’une ou l’autre de ces formes de testament. « De la même manière que le testament entièrement rédigé par un moyen technique et non signé peut difficilement être qualifié de “testament olographe”, le testament qui est établi sans la présence de témoins peut difficilement être qualifié de testament devant témoins. »

Le juge précise, par ailleurs, que le fait d’écrire dans le corps d’un courriel « ceci est ma signature » n’équivaut pas à apposer sa signature au document.

En appel, l’analyse du juge de première instance est confirmée. Le jugement mentionne malgré tout que les avancées technologiques pourraient, un jour, forcer les tribunaux à réévaluer les circonstances entourant l’applicabilité de l’article 714 C.c.Q. Reste à savoir si le législateur québécois est prêt à emboîter le pas à une telle réforme.

[1] Damary c. Bitton, 2022 QCCA 349.

[2] Bitton c. Bitton, 2021 QCCS 4649.

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