Dois-je vraiment payer ce que mon bailleur me charge à titre de locataire?

Les locataires s’engageant au sein d’un bail commercial net se doivent de payer à leurs bailleurs le loyer minimum certes, mais aussi d’autres frais dont le loyer additionnel, qui consiste notamment en une recharge par le bailleur des taxes foncières et des frais d’opération relatifs à l’immeuble que les locataires occupent, recharge qui est habituellement répartie selon la quote-part des locataires, calculée sur la superficie occupée par chacun des locataires de l’immeuble, par rapport à la superficie locative totale de l’immeuble.

Avec la fin de l’année qui approche (et la fin de l’année financière pour certains), plusieurs bailleurs et locataires voudront conclure la négociation de leur entente de louage commercial, et de dures discussions se dérouleront pour en venir à des clauses claires de recharge de ces frais d’opération, clarté qui est requise pour les bailleurs s’ils souhaitent obtenir un remboursement, par leurs locataires, de ces dépenses d’opération engendrées pour l’entretien et la conservation de l’immeuble. À ce titre, plusieurs auteurs ont rappelé l’importance du langage utilisé pour la rédaction de ces clauses à inclure dans les baux commerciaux afin d’éviter tout conflit d’interprétation et de viles querelles devant les tribunaux et d’autres ont discuté des impacts d’une mauvaise rédaction ou d’omissions de certains postes de frais d’opération sur la valeur marchande d’un immeuble , puisqu’une différence d’un dollar du pied carré peut résulter en des dizaines de milliers de dollars lorsque calculée sur la durée du bail.

Lors de la négociation d’un bail commercial, il est judicieux pour un locataire d’insister sur certaines exclusions quant aux frais d’opération, mais il est d’autant plus important de demander à ce que soit incluse une clause de vérification des frais d’exploitation, bref, un droit contractuel du locataire de demander « des comptes » au bailleur, sans vouloir faire de mauvais jeux de mots…

Plusieurs variantes de ce type de clause peuvent être insérées au document contractuel et plusieurs composantes de cette clause peuvent aussi être négociées, mais en voici tout de même une toute simple à titre d’exemple :

« Le Locataire pourra demander au Bailleur de recevoir copie de toutes les preuves documentaires, factures et pièces justificatives concernant les frais d’exploitation et de faire vérifier lesdits frais d’exploitation par ses propres vérificateurs. Si la vérification du Locataire révèle une variation de plus de 3% des rapports du Bailleur, le Bailleur devra payer tous les frais engendrés par le Locataire pour cette vérification. Dans tous les cas le Bailleur doit rembourser au Locataire un montant égal au trop perçu par le Bailleur au titre des frais d’exploitation et du montant payé par le Locataire conformément à l’estimé annuel fait par le Bailleur. Cependant le Bailleur ne sera tenu de rembourser au Locataire aucuns frais de vérification engendrés par le Locataire si cette vérification révèle un écart de moins de 3%. »

Depuis quelques années, les locataires demandent de plus en plus avis à leurs conseillers légaux et comptables pour déterminer s’ils doivent vraiment payer tout ce que leur bailleur leur charge, puisque parfois, les sommes investies en honoraires professionnels de vérification peuvent valoir le coup sur ce qui peut être récupéré des bailleurs en tant que montant perçu en trop par ces derniers. L’industrie du « lease audit », qui est bien implantée aux États-Unis , est un contrepoids nécessaire à la latitude dont bénéficient les bailleurs en vertu des baux nets, lesquels ne doivent pas être utilisés comme des chèques en blanc par les bailleurs. Conséquemment, non seulement est-il important pour un bailleur de détailler et énumérer les frais d’opération de l’immeuble (énumération qui peut parfois s’étendre sur plusieurs pages…), mais si un litige éclate entre un bailleur et un locataire suite à une demande de justificatifs d’un locataire suspicieux, le bailleur pourra avoir à justifier « chaque dollar » qu’il entendait facturer , et produire toute la documentation appropriée, pour éviter d’être déclaré coupable d’outrage au tribunal lorsqu’une ordonnance a été prononcée en ce sens. Il en va du respect même des principes fondamentaux de l’obligation de renseignement et de la bonne foi dans les relations contractuelles.

Néanmoins, avant même d’analyser la possibilité d’un recours devant les tribunaux, le professionnel doit d’abord se questionner sur la conduite des parties durant les années antérieures. Lorsqu’un locataire (ou un bailleur…) requiert de son comptable ou de son avocat une analyse de la facturation des frais d’opération, il devrait leur fournir des informations sur le contexte et la manière dont le bail a été négocié et appliqué depuis le début de la durée de location. En effet, il peut arriver que les termes du bail ne reflètent pas la volonté réelle des parties, laquelle doit primer sur la volonté exprimée dans le contrat, comme l’a rappelé la Cour d’appel dans l’affaire Sobeys :

« Les articles 1425 et 1426 C.C.Q. consacrent cette primauté de la volonté réelle sur la volonté déclarée des parties en disposant que:

1425. Dans l’interprétation du contrat, on doit rechercher quelle a été la commune intention des parties plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes utilisés.

1426. On tient compte, dans l’interprétation du contrat, de sa nature, des circonstances dans lesquelles il a été conclu, de l’interprétation que les parties lui ont déjà donnée ou qu’il peut avoir reçue, ainsi que des usages. »

L’intention des parties, le contexte et l’analyse du contrat dans son ensemble doivent être pris en considération par le professionnel, puisque ce seront inévitablement les aspects regardés en premier par un juge en cas de conflit d’interprétation d’une disposition financière dans un bail commercial.

En conclusion, mieux vaut être prudent lors de la rédaction et de la négociation des clauses financières relatives aux frais d’opération dans un bail commercial.Un locataire doit poser des questions à son bailleur quant aux postes de frais d’opération (et aux montants estimés correspondant à ces postes, au pied carré), lors de l’étude du bail type de ce dernier. De plus, bien que le fait de ne pas avoir de telles clauses ne priverait généralement pas le locataire de son droit inhérent de demander au bailleur de fournir des pièces justificatives au soutien du loyer additionnel facturé, il est judicieux de clarifier les obligations des parties, et donc, pour le représentant du locataire, de demander l’inclusion d’une clause de vérification de ces frais dans le bail commercial à intervenir, pour obtenir plus facilement réponse à la question « dois-je vraiment payer ce que l’on me charge»?

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