Gare aux plateformes de financement P2P!
En ce début de janvier, les vœux de « bonne année » sont d’usages. Si, à notre vieille tante, on souhaite la santé, que souhaite-t-on à l’entrepreneur croisé dans un bureau d’avocats ou au dernier 5@7 de la chambre de commerce de sa région? Du succès bien entendu!
Or, le succès d’un entrepreneur dépend bien souvent de sa capacité à trouver quelqu’un prêt à financer son entreprise. Pour se faire, plusieurs avenues s’offrent à lui, certaines plus traditionnelles, d’autres moins.
Dans la catégorie moins traditionnelle, on peut notamment penser à l’émission télévisée Dragon’s Den, dont la version québécoise, Dans l’œil du dragon, prendra l’affiche plus tard ce printemps sur les ondes de Radio-Canada. On peut aussi penser aux plateformes web dédiées à la recherche de financement peer-to-peer, du type de P2P Financial.
Attention! bien que l’idée derrière ce type de plateforme ne soit pas sans rappeler le microcrédit offert par n’importe quel internaute à un entrepreneur résidant dans un pays émergent via des plateformes telles que InVenture, l’usage de plateforme web par un entrepreneur pour rechercher du financement peer-to-peer, au Canada du moins, peut s’avérer risqué.
En effet, il faut toujours garder à l’esprit que la Loi sur les valeurs mobilières et le Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription visent non seulement les sociétés cotées en bourse, mais aussi les plus petites des PME et StartUps. En vertu de cette loi et de ce règlement, dès lors qu’une opportunité de financement comportant une offre de participation dans le capital-actions d’une société est accessible au public via une plateforme de financement peer-to-peer, celle-ci peut constituer un« placement » au sens de la Loi sur les valeurs mobilières, et ce sans égards aux mentions faites sur telle plateforme du fait que les opportunités en question ne s’adressent qu’à des investisseurs qualifiés et ne constituent pas des offres d’investissement.
Rappelons que l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières définit un «placement » comme étant notamment : « 1° le fait, par un émetteur, de rechercher ou de trouver des souscripteurs ou des acquéreurs de ses titres ». Or, tel que le rappelait la Cour d’appel dans l’arrêt Infotique Tyra inc. c. Commission des valeurs mobilières du Québec, la notion de « placement » doit recevoir une interprétation large afin de permettre à la loi d’atteindre son objectif. Par conséquent, la simple recherche d’investisseurs souhaitant investir dans une société en échange d’actions, même sans trouver, constitue un placement fait par l’entrepreneur.
Si le fait d’afficher une opportunité de financement sur ce genre de plateforme est considéré comme un placement, alors l’entrepreneur désirant l’afficher serait tenu, en vertu de l’article 11 de la Loi sur les valeurs mobilières , « d’établir un prospectus soumis au visa de l’Autorité » à moins d’en être autrement dispensé.
Les plateformes web de financement peer-to-peer semblent miser sur la dispense accordée aux placements faits auprès d’investisseurs qualifiés. Or bien que l’article 43 de la Loi sur les valeurs mobilières et l’article 2.3 du Règlement 45-106 sur les dispenses de prospectus et d’inscription prévoient que l’obligation de produire un prospectus ne soit pas applicable aux placements faits auprès d’investisseurs qualifiés, encore faut-il que les placements en question soient effectivement faits strictement auprès de cette catégorie d’investisseurs.
Dans le cas d’une plateforme offrant des services similaires à ceux de P2P Financial, où les opportunités peuvent être consultées par tout internaute naviguant sur le site Internet, il est permis de douter qu’un tel placement soit considéré comme fait uniquement auprès d’investisseurs qualifiés puisque, en remplissant un simple formulaire électronique, tout internaute peut, peu importe la valeur de son patrimoine ou de ses revenus, accéder aux opportunités affichées.
En l’absence d’un contrôle stricte des internautes pouvant visualiser le contenu disponible sur une plateforme de recherche de financement peer-to-peer, un entrepreneur y affichant son opportunité risque donc d’être considéré par l’autorité des marchés financiers comme un émetteur assujetti et d’ainsi se voir imposer les peines prévues aux articles 202 et suivants de la Loi sur les valeurs mobilières, en plus d’être tenu pour le futur aux obligations d’information continue prévue à la Loi sur les valeurs mobilières.
Si la dispense du placement auprès d’un investisseur qualifié ne peut trouver application dans le cas d’une plateforme donnée, alors une réflexion plus poussée relativement aux autres dispenses possibles devrait être faite.
À ma connaissance, l’autorité des marchés financiers ne s’est encore jamais prononcée spécifiquement sur l’obligation de produire un prospectus pour un entrepreneur affichant une opportunité sur une plateforme web de recherche de financement peer-to-peer. Toutefois, bien que ce type de plateforme de recherche de financement puisse être alléchant pour un entrepreneur, il semble risqué pour celui-ci, à la lumière de l’analyse sommaire qui précède, d’y afficher ses opportunités. Les professionnels consultés par des entrepreneurs à ce sujet devraient donc être particulièrement prudents.