L’ordonnance Nunc Pro Futuro
Je vous entretiens cet été dans mon blogue de l’usage abusif des maximes latines dans le Merveilleux monde de l’insolvabilité©. Après la requête de bene esse et la requête Nunc Pro Tunc, le temps est venu de créer une nouvelle maxime latine pour combler un besoin réel, suite à des recherches exhaustives de notre dynamique équipe d’étudiant(e)s.
En effet, avec respect pour nos savants confrères, (ce qui veut dire qu’ils sont dans le champ), une maxime latine n’est pas une maxime de droit romain antique, mais simplement une maxime qui est en latin parce que ca fait plus savant. Ni la chute de l’Empire romain d’Occident en 476 après J-C, qui a d’ailleurs fait beaucoup de peine au dernier empereur Romulus Augustule, ni celle de l’Empire romain d’Orient en 1453 n’empêcheront ce blogue de faire avancer le droit romain.
Il est devenu assez fréquent, en matière d’insolvabilité, d’obtenir des ordonnances qui n’ont absolument aucune application et aucun effet actuels. Par contre ces ordonnances pourront avoir un effet dans le futur, mais seulement si certaines circonstances se réalisent. Qui plus est, on voudra lier des personnes qui n’existent pas encore et pourraient même ne jamais exister, comme un éventuel et hypothétique syndic de faillite. Non-existant et non-représenté, ledit syndic ne contestera pas la demande….
L’exemple classique est une ordonnance du tribunal, en matière de séquestre ou de proposition sous la LFI ou d’arrangement sous la LACC. Dans le cadre de l’approbation d’une vente d’actifs et d’une ordonnance purgeant les sûretés qui les grèvent (« vesting order ») ou dans le cadre de l’octroi d’un financement temporaire prioritaire (« DIP » ) ou d’autres charges, il est fréquent de demander au tribunal de décréter que tout syndic de faillite qui serait nommé par la suite sera lié par la transaction approuvée et ne pourra l’attaquer.
C’est le cas notamment des paragraphes 45 et 46 de l’Ordonnance Initiale type suggérée par le Barreau :
« [45] DÉCLARE que nonobstant : i) la présente instance et toute déclaration d’insolvabilité qui y est faite, ii) toute requête en vue d’une ordonnance de séquestre déposée à l’égard de la Requérante conformément à la LFI et toute ordonnance de séquestre y faisant droit ou toute cession de biens visant la Requérante qui est faite ou réputée avoir été faite, et iii) toute loi fédérale ou provinciale, les paiements ou dispositions de biens faits par la Requérante conformément à l’Ordonnance et l’octroi des Charges en vertu de la LACC ne constituent et ne constitueront pas des règlements, des préférences frauduleuses, des transferts frauduleux ou d’autres transactions contestables ou révisables ou des actes donnant lieu à un recours pour abus en vertu d’une loi applicable.
[46] DÉCLARE que les Charges en vertu de la LACC sont valides et exécutoires à l’encontre de tous les Biens de la Requérante et de toutes les Personnes, y compris tout syndic de faillite, séquestre, séquestre-gérant ou séquestre intérimaire de la Requérante et ce, à toute fin. »
Il en est de même de l’Ordonnance type nommant un séquestre :
« [29] DÉCLARE que, nonobstant : i) la présente instance et toute déclaration d’insolvabilité qui en découle, ii) toute requête en faillite déposée à l’égard de la Débitrice conformément à la LFI et toute ordonnance de faillite y faisant droit ou toute cession de biens visant la Débitrice qui est faite ou réputée avoir été faite, et iii) toute loi fédérale ou provinciale, les paiements ou dispositions de biens faits par le Séquestre conformément à la présente Ordonnance et l’octroi de la Charge d’Administration ne constituent et ne constitueront pas des règlements, des préférences frauduleuses, des transferts frauduleux, des opérations sous-évaluées, des paiements préférentiels ou d’autres transactions contestables ou révisables ou des actes donnant lieu à un recours pour abus en vertu d’une loi applicable, et seront valides et exécutoires à l’encontre de toute personne, y compris tout syndic de faillite, et tout séquestre aux Biens de la Débitrice; »
Une utilisation innovatrice de ce type d’ordonnance, pour le moment, mais pas pour très longtemps, innommée a eu lieu ce printemps dans le dossier Aveos. Faisant fi de ma réserve habituelle au sujet de dossiers de mon cabinet, je vous en jase un brin.
Les 2800 employés mis-à-pieds concurremment à l’ordonnance initiale sous la LACC n’avaient reçu ni leurs salaires réguliers, ni paie de vacance, ni préavis ou paie de licenciement. Les montants excédaient de loin, pour chaque poste, la priorité de 2 000$ prévue à la LFI. Un paiement immédiat de la réclamation pré-ordonnance n’aurait donc pas réduit la priorité applicable pour le solde de la réclamation en cas de faillite subséquente, préjudiciant ainsi les créanciers garantis, car il y aurait eu double paiement de la somme prioritaire d’environ 6 million de dollars dans chaque cas. L’Honorable Mark Schrager a donc émis une ordonnance spéciale, avec le consentement de autorités fédérales chargées de l’application du Programme de Protection des Salariés, à l’effet que le paiement des salaires réduirait dans le futur la priorité applicable, même en cas de faillite ou séquestre :
L’ordonnance prévoit par exemple :
« [8] ORDERS AND DECLARES that to the extent of a maximum of $2,000 per employee and former employee, the payments to be made to each employee and former employee of the Petitioners pursuant to this order shall be deemed as a payment for the purposes of the priorities contemplated at section 81.3 and 81.4 of the BIA, such that said priorities will be deemed to have been discharged in the event a bankruptcy or receivership of the Petitioners, such that no further priority claims can be asserted by employees and former employees against the Petitioners or by any other person legally bound to make such payments to the extent of the amount paid to each employee and former employee pursuant to this Order;”
Il s’agit donc d’une ordonnance rendue maintenant, mais pour le futur, soit le contraire de l’ordonnance Nunc Pro Tunc, rendue maintenant mais pour le passé. Il ne restait plus qu’à lui donner le bon nom latin.
Le professeur Deslauriers, se fondant sur l’impayable Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit québécois Guérin Éd. d’Albert Mayrand, m’a suggéré « ex nunc » (à partir de maintenant) ou « ex tunc » (à partir d’alors). Cependant, ces expressions ne rendent pas le concept d’une ordonnance qui n’entrera possiblement en jeu que dans le futur. Le professeur Deslauriers a même tenté, pour m’assister, de consulter un jésuite retraité de 92 ans. Ce dernier n’a pas répondu au courriel. De quoi en perdre son latin.
Heureusement, après consultation d’un autre professeur de latin, le Père Lafleur au Séminaire St-François*, institution réputée pour la qualité et l’humilité de ses étudiants, la traduction appropriée du concept « maintenant pour le futur » est Nunc Pro Futuro. Simple et facile d’emploi.
Nous avons donc une nouvelle maxime latine et le Merveilleux monde de l’insolvabilité© est mis au défi de l’utiliser devant le tribunal pour mériter une mention honorable dans ce blogue.
* Dont la devise est Mens sana in corpore sano