La chute d’un géant juridique

Prenez Fasken Martineau et multipliez le nombre d’avocats par 2. Ça vous donne environ 1300 juristes, soit la grosseur maximale atteinte par le bureau américain Dewey & LeBoeuf qui vient d’être placé sous la protection du chapitre 11 (l’équivalent de notre protection en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité). C’est donc un TRÈS gros bureau qui capitule.

Pour vous donner une idée du type de mandats dans lequel ils ont été impliqués, je vous en nomme deux datant de 2009:

– Vous avez vu le film The Avengers? Et bien, les personnages de ce film appartiennent à The Walt Disney Company depuis l’acquisition de Marvel Entertainment en 2009, une transaction évaluée à un maigre 4 milliards de dollars. Dewey & Leboeuf représentait Disney dans cette transaction.

– Vous utilisez parfois Skype? Saviez-vous que la compagnie appartenait autrefois à eBay? La compagnie californienne a vendu en 2009 sa participation de 65% pour 1.9 milliards. C’est Dewey & Leboeuf qui représentait eBay dans cette transaction qui plaçait la valeur de Skype à 2.75 milliards. Si vous vous souvenez bien, Microsoft avait par la suite acheté Skype pour 8.5 milliards moins de deux ans plus tard. Un bon retour sur investissement pour les institutions qui ont acheté et revendu la compagnie.

Des mandats plus qu’intéressants, donc. Mais qu’est-ce qui s’est donc passé avec ce bureau qui comptait 1300 avocats et des revenus de plus de 900 millions de dollars à son apogée?

Et bien, imaginez-vous que ce bureau avait l’habitude de recruter latéralement en garantissant des salaires aux associés ainsi recrutés. C’est pratique commune, me direz-vous et ça a bien fonctionné pour un temps. D’ailleurs, eBay est arrivé comme client dans ce cabinet par un de ces mouvements latéraux.

Le problème avec ces garanties, c’est que quand un cabinet n’atteint pas ses objectifs financiers, il faut arrêter d’en donner puisqu’on arrive assez rapidement à un point où on n’a plus de marge de manoeuvre pour les autres associés et les sociétaires qui performent mieux que prévu. Dans le cas de Dewey & Leboeuf, le tiers des associés bénéficiait de ce revenu garanti et on continuait d’en recruter d’autres (37 en 2011). Éventuellement, lorsque le cabinet a raté ses objectifs financiers, les autres associés (rémunérés en fonction de leur performance) en ont eu assez.

On dit que dans un cabinet de juristes, les actifs s’en retournent chez eux chaque soir. L’échec de ce cabinet l’a confirmé. En effet, la frustration, combinée à une dette impressionante (leur passif se chiffre à 315 millions de dollars, dont 225 millions dus à des institutions financières) a mené à un exode massif des associés dès le début de l’année 2012. 17 associés ont quitté en janvier et février, puis 22 en mars, 40 en avril et 125 en mai, pour un total de 204 en 5 mois.

Dewey & Leboeuf devrait même une somme de 61 millions de dollars à un de ces associés. Des montants totalement absurdes selon les normes canadiennes…

Pour ceux que ça intéresse, j’aborderai ce sujet et plusieurs autres situations d’actualité dans une formation au mois de juin sur la gestion de pratique. En attendant, faites attention aux salaires garantis…

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