La lettre d’intention : contraignable ou pas?
En matière de louage commercial, la lettre d’intention est souvent utilisée afin de faciliter les négociations entre les parties voire même d’en accélérer le processus. La lettre d’intention est-elle contraignable ou pas? Quand le devient-elle? C’est ce que nous verrons plus bas.
Dans l’affaire Société en commandite de Copenhague c. Corporation Corbec, monsieur le juge Alain Bolduc de la Cour supérieure, le 13 janvier 2012 (2012 QCCS 169) a eu à trancher quant à la nature de l’entente précontractuelle étant intervenue entre les parties.
Les faits de l’affaire
Corbec voulant déménager son usine est intéressée par la bâtisse industrielle de la Société. Des pourparlers ont lieu. Un projet d’offre de location est expédié à Corbec par la Société. Corbec fait parvenir à son avocat tel projet et ce dernier recommande de procéder par lettre d’intention où il y est prévu qu’elle ne lie pas les parties et ce, tel que le prévoit cette clause :
« Cette lettre d’intention ne lie aucune des parties aux présentes et afin de donner suite à cette lettre d’intention, les parties devront signer un bail dans les soixante (60) jours suivant la date des présentes. Cette lettre d’intention ne constitue pas une offre de location mais vise seulement à énumérer certains éléments factuels afin de permettre à la préparation d’un projet de bail pour négociation entre les parties. ».
Des pourparlers s’ensuivent et bien que l’avocat de Corbec n’ait pas été consulté, les parties signent un Mémorandum d’entente où est stipulé ce qui suit :
« Pour la convenance des parties, le Locateur et le Locataire s’accordent à utiliser un télécopieur pour l’envoi du Mémorandum d’Entente, son acceptation ou toute contre-proposition. Lorsque le Mémorandum d’Entente aura été accepté, les deux parties seront légalement liés (sic) et ce document sera considéré officiel. (…) (Nos soulignements) ».
Dans ce Mémorandum, il est aussi stipulé que le bail devra être signé par les parties dans les 45 jours suivant son acceptation. Sans plus attendre, un projet de bail est rédigé par l’avocat de la Société, lequel est par la suite corrigé et commenté par l’avocat de Corbec où de nombreuses clauses ne sont pas acceptées et de nouvelles en sont ajoutées. Toujours à l’intérieur du délai de 45 jours, mais celui-ci tirant vers la fin, la Société transmet à Corbec une version annotée à la main de ce projet de bail. Finalement, Corbec transmet une lettre à la Société afin de l’aviser que l’échéance pour la conclusion du bail est expirée et qu’elle n’a plus l’intention de louer les locaux, d’où le présent litige.
L’une des questions en litige
Le juge Bolduc se pencha sur 4 questions en litige. Cependant, la plus pertinente aux fins du présent billet est la première, soit : 1) Le Mémorandum est-il une entente précontractuelle, une promesse de bail ou un contrat de location?
Position des parties
La Société plaide que le Mémorandum est un contrat de location exécutoire car il contient tous les éléments d’un bail, que le délai de 45 jours afin de signer le bail n’est pas un délai de rigueur et que Corbec a négocié de mauvaise foi.
Pour sa part, Corbec soutient que le Mémorandum constitue une lettre d’intention, laquelle servait de base à la négociation du bail et qu’elle était de plus imprécise sur plusieurs éléments essentiels. Corbec mentionne aussi que le délai de 45 jours était important pour lui afin de lui permettre de construire une nouvelle usine avant la fin de l’hiver.
Qu’en est-il? Le juge Bolduc fait part du principe du consensualisme et mentionne ce qui suit constituant la base en matière de louage :
« [59] Le bail étant un contrat consensuel, il se forme généralement dès l’acceptation d’une offre de contracter, à la condition que cette offre contienne tous les éléments essentiels d’un contrat de location, soit la description du bien loué, la durée du bail ainsi que le montant du loyer , et le cas échéant, la manière de le déterminer et de l’ajuster. » et il ajoute :
« [60] Si les parties concluent une entente sur des éléments essentiels du contrat sans qu’il y ait un accord de volonté sur tous les éléments essentiels, cette entente n’est pas un contrat. Cependant, il est reconnu dans certains cas qu’elle peut constituer une entente précontractuelle obligeant les parties à négocier de bonne foi. Ainsi, en cas de rupture abusive des négociations, la partie fautive peut engager sa responsabilité précontractuelle. ».
Le juge ayant constaté une certaine ambiguïté dans le Mémorandum en vient à faire appel aux règles d’interprétation des contrats (art. 1425 et ss C.c.Q.) où il faut rechercher l’intention commune des parties au moment de la signature du Mémorandum. Le juge après une analyse du libellé du Mémorandum, le contexte ayant entouré sa signature ainsi que le comportement subséquent des parties en vient à la conclusion que l’intention commune des parties était de conclure une entente précontractuelle, puisqu’entre autres, de l’aveu d’un représentant de la Société, le projet de bail contenait des clauses dont aucune entente n’avait encore eu lieu.
Étant donné que le Mémorandum ne serait qu’une simple entente précontractuelle, ce dernier donne ouverture à un recours en dommages-intérêts seulement. Cependant, la Société n’en réclame aucunement, la Cour ne se pencha donc pas sur la bonne foi ou pas de Corbec dans ses négociations. La Cour rejeta la requête introductive d’instance de la Société avec dépens.
Quand une lettre d’intention devient-elle contraignable?
Ma collègue Me Stéphanie Beauregard dans son article intitulé : « L’offre de location à la lumière de la jurisprudence récente : clauses essentielles et écueils à éviter » dans La Collection Blais, Volume 9 – 2011 – Le bail commercial, Cowansville, Éditions Yvon Blais aux pages 7 et 8 fait un excellent résumé de ce qu’est une lettre d’intention et sa portée juridique que voilà :
« L’offre de location aussi appelée « proposition de location », surtout si elle est courte, prend parfois la forme d’une lettre d’intention. On serait porté à croire que la lettre d’intention ne lie pas les parties (qu’elle n’est pas « binding »), alors que l’offre de location lie les parties. Cependant, cette distinction ne reflète pas toujours la réalité. Il arrive d’ailleurs que les expressions « lettre d’intention » et « offre de location » soient utilisées indistinctement.
En cette matière comme en toute autre, il ne faut pas se fier au titre du document lorsque l’on analyse sa portée juridique. Ce sont les termes du document lui-même qui doivent servir de guide pour déterminer si les parties sont liées par celui-ci ou non. Il faut également analyser ces clauses à la lumière de la conduite des parties. ».
En conclusion
Qu’une lettre d’intention s’intitule ainsi ou encore offre de location ou toute autre mention, ce qui est important d’analyser face à un tel document pour déterminer si elle est contraignable ou pas sont les points suivants :
- l’intention des parties avant, pendant et après sa conclusion;
- les clauses qui lient ou pas les parties; ainsi que
- la bonne foi dans les négociations.