Les clauses de non-concurrence, pas une panacée dans le domaine de la santé

Dans un arrêt du 22 août 2022, la Cour d’appel du Québec a accueilli en partie un appel aux seules fins de déclarer nuls certains passages d’une clause de non-concurrence.

Dans l’arrêt Gestion Philippe Girard inc. c. Clinique de réhabilitation prosthodontique de Québec inc.[1], deux dentistes ne peuvent s’entendre quant aux termes du retrait de l’un des deux actionnaires. L’appelant Girard et l’intimée Landry sont tous deux membres de l’Ordre des dentistes du Québec et spécialisés en prosthodontie. Leurs sociétés de gestion respectives sont actionnaires à parts égales de la clinique, une société par actions constituée en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions[2]. La convention entre actionnaires contient une clause de retrait des affaires et un engagement de non-sollicitation et de non-concurrence. Après plusieurs années, Girard souhaite quitter la clinique afin de poursuivre ses activités au sein d’une autre clinique située à proximité. Landry ne s’oppose pas à son départ, mais souhaite conserver la clinique. Plusieurs points sont soulevés, mais celui qui nous intéresse ici concerne la clause de non-concurrence, élément central du désaccord entre les parties.

Les appelants soulèvent en appel, pour la première, que l’engagement de non-concurrence est nul de nullité absolue, car contraire à l’ordre public puisqu’il a pour effet de limiter le droit des patients à la continuité des soins. Les appelants se basent sur l’arrêt Mirachi c. Lussier[3] selon lequel un engagement de cesser de traiter des patients, au moyen d’une convention commerciale, touche directement à l’exercice du libre choix du patient et compromet donc la continuité de ses traitements. Les droits des patients sont d’ordre public et la clause de non-concurrence qui cherche à les limiter doit être interprétée strictement, conformément au Code civil du Québec[4], à la Loi sur les services de santé et les services sociaux[5] et, en l’occurrence, au Code de déontologie des dentistes[6]. L’intérêt des patients a préséance sur celui des professionnels.

La Cour d’appel souligne toutefois qu’il est faux de conclure pour autant qu’il est impossible d’inclure une clause de non-concurrence dans une convention d’actionnaires ou dans un contrat de vente dans le domaine de la santé.

Dans ce cas, l’engagement de non-concurrence empêche Girard de participer, à quelque titre que ce soit, incluant à titre d’employé, aux affaires d’une autre clinique de prosthodontie située dans un rayon de 50 km à vol d’oiseau de la clinique, et ce, pendant 24 mois et prohibe, de même, toute activité professionnelle dans le domaine de la prosthodontie.

Selon l’intimée, la clause en question n’impose pas à Girard de cesser de traiter ses patients et ne prive pas ceux-ci de poursuivre leur traitement. Elle n’impose qu’une limite territoriale raisonnable permettant aux patients de poursuivre leurs traitements avec Girard à la condition que celui‑ci exerce sa profession à l’extérieur du rayon indiqué. La Cour d’appel rappelle que si une distance de 3 à 10 km a été reconnue comme étant raisonnable en matière de soins de santé par le passé, il en va autrement d’une distance de 50 km à vol d’oiseau. Dans les faits, cela empêche Girard de pratiquer dans une clinique située dans la communauté urbaine de Québec.

Pour conclure, bien que la question ait été soulevée tardivement, la Cour d’appel accueille l’appel, mais uniquement en ce qui concerne l’interdiction imposée à Girard de travailler dans une clinique de prosthodontie et d’y exercer les activités professionnelles d’un prosthodontiste. Seule cette portion de la clause est visée par l’ordre public et la protection des droits des patients. L’engagement souscrit de ne pas agir autrement qu’aux fins de la prestation des soins à des patients dans une clinique demeure valide.

En conclusion, il faut donc être vigilant avant de conclure qu’une clause de non-concurrence est le remède à tous les maux lorsqu’il s’agit d’une entreprise offrant des soins de santé.

 

[1] Gestion Philippe Girard inc. c. Clinique de réhabilitation prosthodontique de Québec inc., 2022 QCCA 1146.

[2] Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.

[3] Mirarchi c. Lussier, 2007 QCCA 284.

[4] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991

[5] Loi sur les services de santé et les services sociaux, RLRQ, c. S -4.2.

[6] Code de déontologie des dentistes, RLRQ, c. D -3, r. 4.

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