Nouveau regard sur les droits et les intérêts

Pour ester en justice, soutenir un droit, il faut démontrer qu’on a un intérêt. Pour obtenir justice, il faut que l’intérêt se concrétise.

On parle beaucoup de droits, des droits revendiqués au début de l’ère moderne par le conservateur Edmund Burke (1729-1797) et des droits contradictoires revendiqués par le libéral Thomas Paine (1737-1809). Les Nations unies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 et dernièrement la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Michael Ignatieff a prononcé une série de conférences intitulées The Rights Revolution, The Massey Lectures, 2000. Steven Pinker dans son livre de 2011 The Better Angels of our Nature – Why Violence Has Declined consacre un chapitre entier aux “révolutions des droits”.

Une des oeuvres marquantes de la nouvelle équité dans l’évolution de la loi, « Comment réussir une négociation » de Roger Fisher et William Ury, la version française de Getting to Yes Negotiating Agreement Without Giving In, préconise : « Pour trouver une solution judicieuse, il faut concilier les intérêts, pas les positions ». Les positions, c’est une façon de décrire des droits sans réalisation concrète, un genre d’abstraction intellectuelle. La conciliation des positions s’avère impossible. La conciliation des intérêts est possible, faisable et praticable.

Par conséquent, on commence à faire la distinction entre les processus basés sur les droits et des processus basés sur les intérêts. C’est ainsi qu’on se trouve devant des choix : le procès, processus d’adjudication des droits, et la négociation, processus d’ajustement des intérêts. D’après la doctrine, le fondement des droits se trouve dans la nature des choses. Le fondement des intérêts se trouve dans la nature humaine dont les exigences fondamentales sont, d’après Fisher et Ury, « La sécurité. Le bien-être économique. L’appartenance à une communauté. L’identification. La maîtrise de sa destinée ».

On commence à comprendre que la course aux droits est fort problématique. Non seulement la course favorise-t-elle tous les éléments donnant lieu à la guerre – compétition, peur, gloire – mais la course crée aussi une culture d’ayants droit (a culture of entitlement). Par contre, la conciliation des intérêts met en œuvre des forces pour promouvoir la paix – coopération, amour, valorisation de la diversité – et vise directement à satisfaire les intérêts. Chose étonnante, ce faisant, on arrive par surcroît à respecter les droits.

Dans le dossier qui est le sujet de l’étude de cas reproduite au site web du Groupe Interlex, concernant un vice caché, les parties se sont attachées à leurs intérêts respectifs plutôt qu’à leurs droits. Il y avait trois parties au différend: l’entreprise forestière qui avait acheté une écorceuse sophistiquée à grand prix, le fournisseur de l’écorceuse, et la firme d’ingénieurs responsable de l’installation et du bon fonctionnement de la machine. Un sage, membre de la haute direction de l’entreprise forestière, a réuni ses gens et leur a posé le choix à faire entre les droits et les intérêts comme suit : ‘Si vous voulez avoir raison, c’est-à-dire si vous insistez sur vos droits, peut-être qu’un jour quelqu’un vous donnera raison, mais en attendant, la productivité est au point mort. Si vous voulez de la productivité, vous allez rechercher la cause du vice et le corriger’.

C’est un choix qui se pose dans tous les cas, ou presque. L’affirmation succède à la revendication. Dans un autre dossier concernant un vice caché, cette fois-ci des fissures inquiétantes dans les balcons d’un grand immeuble d’appartements, la course aux droits a duré pendant de nombreuses années sans que les balcons «  fonctionnent », c’est-à-dire sans que les balcons soient sécuritaires. Les parties, à la demande des assureurs, se sont donné la tâche de rendre les balcons sécuritaires. Dans le domaine culinaire, les recettes stipulent souvent que tel ou tel ingrédient soit réservé à une étape ultérieure. On aborde la question des intérêts. On réserve ses droits.

Le lien entre les droits et les intérêts est aussi le pont entre la justice et l’économie. La course aux droits n’est pas productive. La recherche des intérêts, elle, est productive. Il me semble qu’un système visant les intérêts doive succéder à un système visant les droits. C’est une question d’ordre public. C’est pourquoi les juges doivent intervenir pour assurer la saine gestion, la productivité à l’intérieur de la loi, sous toute réserve des droits. L’abandon des droits est très rare dans les faits. Au contraire, la valorisation des intérêts est la garante des droits et donne lieu à des attentes légitimes, une source importante d’obligations. La valorisation des intérêts est l’affaire de tous, non seulement du secteur privé, d’où la naissance du partenariat public-privé.

La Déclaration sur les droits des peuples autochtones leur reconnaît, entre autres, les droits suivants:

« Article 21

1. Les peuples autochtones ont droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de leur situation économique et sociale, notamment dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la formation et de la reconversion professionnelles, du logement, de l’assainissement, de la santé et de la sécurité sociale.

2. Les États prennent des mesures efficaces et, selon qu’il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones. Une attention particulière est accordée aux droits et aux besoins particuliers des anciens, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées autochtones. »

Il y a une grande différence entre avoir droit à un logement (décent et abordable) et le fait de posséder un tel logement. Donc, le droit au logement ne constitue pas un logement. Valorisons les logements eux-mêmes. Construisons des logements.

C’est quoi la paix, définie par les femmes? Ça comprend un toit, un logement, n’est-ce pas? Une des activités de la paix, c’est justement la construction de logements pour les gens, et aussi d’étables et de granges. La crèche, c’est le point de départ de la paix. Organisons des chaînes d’approvisionnement pour les Attawapiskats du Nord à partir des bases du Sud. Relevons ces défis. Réservons les droits. Ajoutons les droits à la fin de la recette.

Je vous suggère d’aller voir www.radio-canada.ca/television/8efeu. Qu’est-ce que le 8e feu? Je cite : « Selon la prophétie Anishinabe des Sept Feux, la génération autochtone actuelle est la septième depuis l’instauration de la Loi sur les Indiens. On attribue au 7e feu le pouvoir de nous ramener à une vie plus saine. Le 8e feu annonce un temps où nous vivrons tous dans l’égalité et le respect. » Le Premier ministre après avoir participé à une rencontre avec les Premières Nations le 24 janvier 2012 s’est envolé pour la Suisse où il a prononcé un discours que le Globe and Mail du 26 janvier a qualifié comme suit : « Prime Minister Harper unveils grand plan to reshape Canada ».  J’espère bien que c’est tous ensemble que nous poserons un nouveau regard sur les droits et les intérêts dans un dialogue structuré pour ces fins.

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