S’adapter ou mourir
Que l’on soit pour ou que l’on soit contre, le syndicalisme alla Wagner a été un agent de progrès social important durant le 20e siècle et, au cours de cette période, les syndicats ont réalisés des gains considérables pour leurs membres.
Cela dit, dans sa forme actuelle, le syndicalisme a des limites évidentes et, au fil de leurs succès (notamment en matière de lobbyisme – considérez notamment l’adoption de la Loi sur les normes du travail et de la Loi sur la santé et la sécurité du travail), les syndicats nord-américains les ont graduellement atteintes.
En fait, je crois que l’on peut dire que notre modèle syndical est aujourd’hui à la croisée des chemins; à moyen terme, il doit se réinventer ou il s’étiolera. Selon la formule attribuée à Charles Darwin, il doit s’adapter ou mourir.
Deux nouvelles récentes illustrent le problème auquel fait face le mouvement syndical.
Il y a tout d’abord les déclarations de Larry Steinberg, récemment nommé vice-président à la Commission ontarienne des relations du travail (et un ancien procureur syndical de renom), lequel juge que le système d’arbitrage actuel est tout simplement dysfonctionnel (et ce, notamment en raison de ses coûts et de sa lenteur).
Cela pose inévitablement un problème sérieux aux syndicats – sérieux d’ailleurs souligné par le fait que le message soit désormais véhiculé par des personnes telles que monsieur Steinberg – puisque, dans un monde où les gains pouvant être réalisés par un syndicat à une table de négociation sont de plus en plus minces, la fonction maîtresse de l’association de salariés est de plus en plus reliée à son rôle de représentant légal (et à celui de lobbyiste, que nous avons déjà effleuré dans un billet précédent). Si les syndicats n’ont plus les moyens de représenter efficacement leurs membres (devant les tribunaux d’arbitrage et ailleurs), leur pouvoir d’attraction ne peut, à terme, que diminuer. En effet, pourquoi être syndiqué lorsqu’un salarié non-syndiqué bénéficie de recours plus efficaces, plus rapides et gratuits (car il n’a pas à payer une cotisation annuelle) en passant par la Commission des normes du travail?
La réinvention des syndicats par le truchement de la réinvention du processus d’arbitrage? Peut être… C’est sûrement préférable au retour au syndicalisme de combat préconisé par certains nostalgiques (voir, à ce sujet, les idées de Ronald Cameron (ancien président de la FNEEQ – également ici) ou, plus sérieusement, les commentaires de Louis Roy (nouveau président de la CSN)), mais est-ce suffisant (et est-ce d’ailleurs réalisable)? Pour survivre, le syndicalisme aura-t-il besoin de revoir son rôle d’une façon plus fondamentale?
Et, surtout, qu’arrivera-t-il s’il n’y parvient pas?
L’exemple des récents développements législatifs au Wisconsin est, à cet égard, un présage du ressac que les syndicats pourraient subir s’ils font preuve d’immobilisme. L’histoire est notamment ici, ici, ici et ici, mais je résume : Le Wisconsin, un état du Midwest américain dont la population est de 5,6 millions d’habitants et dont l’économie peut être, à plusieurs égards, comparée à celle du Québec, a adopté, en février 2011, le Wisconsin Budget Repair Bill. En plus de réduire les avantages sociaux offerts au personnel de l’État, cette loi prévoit notamment que le pouvoir de négociation des syndicats représentant les employés du secteur public sera dorénavant limité à la négociation du salaire de base de leurs membres et que lesdits syndicats devront se soumettre annuellement à un vote de leurs membres pour maintenir leurs accréditations. Selon le gouverneur de l’État, un républicain, ses mesures sont nécessaires afin de permettre la réduction du déficit annuel de l’État (estimé à 3,6 milliards de dollars – comparativement à 4,6 milliards de dollars pour le Québec). La loi est (très) vigoureusement contestée par les syndicats et, le 26 mai dernier, une juge du comté de Dane (au Wisconsin – il s’agit de l’équivalent de notre Cour supérieure) l’a annulé (pour une raison procédurale). Le débat se transporte donc à la Cour suprême du Wisconsin et, ultimement, la loi devra possiblement être réadoptée par l’État si les représentants souhaitent toujours mettre en place les mesures envisagées.
Bon… Il est certain qu’on voit mal le jour où une telle loi sera adoptée au Québec (où un volet de la loi, à savoir la restriction au droit de négocier, serait de toute façon probablement contesté pour des raisons constitutionnelles), mais l’exemple reste intéressant. Le Wisconsin est un état traditionnellement démocrate (les wisconsinites ont voté à 56% pour monsieur Obama en 2008) et les syndicats y sont très bien implantés; c’est un comparable valide pour le Québec. Or, confrontée à une situation budgétaire difficile (mais par ailleurs beaucoup favorable que la situation du Québec), la population de cet état a perçu, à tort ou à raison, les syndicats comme une cause de leurs problèmes. On peut être d’accord avec eux ou être contre cette approche, mais je crois que, dans un cas comme dans l’autre, elle illustre les risques auxquels les syndicats seront confrontés dans un avenir plus ou moins lointain (à savoir être perçu non plus comme un agent du changement souhaité, mais comme un agent de la sclérose ambiante). Les syndicats en sont d’ailleurs tout à fait conscients, tel que l’illustrent les récents commentaires de Pierre Dubuc et Marc Laviolette et les propos de David Camfield.
Comme je le mentionnais… les syndicats devront s’adapter ou mourir.
Pensez-vous qu’ils y parviendront?