L’effet boomerang

Le mandat des décideurs publics est court et ils n’ont généralement que quelques années pour mettre en œuvre des politiques et projets souvent très complexes. Qu’on pense par exemple aux grands projets d’infrastructures ou au développement des ressources énergétiques et naturelles. La consultation des citoyens par voie de référendums ou autrement peut être considérée comme un obstacle à la mise en œuvre de ces projets. La consultation est souvent vue comme un mal nécessaire et une autorité pourrait être tentée de la réduire au minimum.

Il est par ailleurs possible qu’un gouvernement considère avoir toute la légitimité pour procéder à la mise en œuvre d’un projet, sans consultations publiques additionnelles, compte tenu que le projet en question était couvert par son programme électoral. Cependant, sauf le cas où la population est invitée à se prononcer spécifiquement sur un sujet dans le cadre d’une élection référendaire, comme ce fut le cas pour l’Accord de libre échange avec les États-Unis, qui fut l’enjeu principal de l’élection fédérale de 1988, les élections portent généralement une multitude d’enjeux et il semble hasardeux de prétendre qu’un gouvernement élu bénéficie d’un mandat clair pour la mise en œuvre de toutes les facettes d’un grand projet.

La consultation et la participation publique restent importantes pour légitimer les actions, opérations et décisions des autorités publiques dans le cadre de la mise en œuvre de leurs programmes politiques. La consultation permet en effet l’atteinte d’un niveau significatif d’acceptabilité politique, sociale et juridique d’une décision particulière en accommodant les préoccupation exprimées par les personnes potentiellement affectées. La consultation permet également de favoriser la collaboration et d’éviter les litiges. Dans une affaire récente de droit autochtone, la Cour suprême indiquait que l’obligation de consulter « reconnaît que les parties doivent collaborer pour concilier leurs intérêts au lieu de s’opposer dans un litige » (Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 R.C.S. 650).

En somme, lancer un grand projet sans consulter adéquatement les personnes potentiellement affectées et sans tenir compte de leurs préoccupations légitimes équivaut à lancer un boomerang qui peut revenir miner l’objectif initial, soit par une manifestation populaire bien orchestrée ou encore dans le cadre d’un recours juridique.

Des mécanismes de consultations peuvent trouver leur source dans la loi ou encore en vertu d’obligations constitutionnelles, telles l’obligation de consulter en matière autochtone lorsque certaines actions sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des droits issus de traités ou des droits ancestraux. Le caractère obligatoire d’une consultation peut également découler des principes généraux du droit administratif. Cette question apparemment ésotérique peut avoir des conséquences pratiques importantes.

En effet, conformément à la doctrine des attentes légitimes qui s’inscrit dans le cadre des obligations d’équité procédurale des décideurs publics, il est considéré injuste d’agir à l’égard d’une personne en contravention d’assurances données en matière de procédure, ou de revenir sur des promesses, sans accorder des droits procéduraux importants, ce qui peut comprendre la possibilité d’être consulté préalablement à la prise d’une décision. La Cour suprême a étendu l’application d’obligations d’équité procédurale à des processus à caractère législatif, en particulier la modification d’un règlement de zonage (Congrégation des témoins de Jéhovah de St?Jérôme?Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650). La violation d’une obligation d’équité procédurale par une autorité publique peut ultimement conduire à l’annulation par un tribunal d’une décision prise par elle.

Les questions relatives aux obligations juridiques de consultation ont fait l’objet d’avancées jurisprudentielles importantes en droit autochtone au cours des dernières années, particulièrement suite au développement des ressources naturelles et énergétiques en Colombie-Britannique. Il ne serait pas surprenant que les tribunaux soient amenés à enchâsser des principes de consultation dans d’autres secteurs du droit et à l’extérieur des cadres législatifs existants, compte tenu notamment des grands projets annoncés dans le Nord québécois et visant le développement de ressources gazières et pétrolières. Par exemple, les tribunaux pourraient avoir à se pencher sur la nature individuelle ou collective d’une telle protection, sur la question de savoir si l’importance d’un projet ou l’urgence dispense de consulter ou celle de savoir si une obligation de consulter comprend une obligation d’accommodement.

Affaire à suivre.

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