De l’expertise médicale à l’exclusion des témoins
Cette semaine, petite chronique disons « procédurale » issue de deux (2) décisions récentes traitant des mandats d’expertise médicale et de la présentation des témoins.
I. L’accès au mandat donné à un expert
Dans bien des dossiers d’invalidité, nous avons recours à des médecins experts à qui l’employeur achemine un mandat écrit résumant la situation factuelle et les questions soumises. Dans certains dossiers plus pointus, on craint parfois que lors de l’audition, ce mandat soit dévoilé et viennent potentiellement teinter le dossier. C’est pourquoi certains employeurs demandent à leur médecin interne ou à leur avocat de préparer la demande d’expertise. Cette façon de faire a été très peu testée jusqu’à récemment devant les tribunaux mais une récente décision nous fourni aujourd’hui un meilleur éclairage.
Dans l’affaire Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes au transport de la STM, section locale 1983 (SCFP) et Société de transport de Montréal, D.T. E. 2011T-312 (T.A.), une chauffeur d’autobus avait été congédiée après qu’une expertise ait révélé des renseignements relatifs à son état de santé. Lors de l’audition, le syndicat a demandé la production de la demande d’expertise formulée par le directeur médical de l’employeur, lui-même médecin. L’employeur s’est objecté à la demande argumentant notamment que :
1) Le syndicat s’étant déjà vu refuser la communication du mandat écrit via la Loi sur l’accès, l’arbitre ne peut en imposer la production;
2) Les échanges entre deux professionnels tenus au secret sont protégés.
Le premier argument avait dès le départ peu de chances de succès. En effet, la demande de communication d’un document par le biais de la Commission d’accès à l’information est fondée dans le secteur public sur les dispositions de Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et dans le secteur privé sur les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. Comme le rappelle l’arbitre, la demande formulée en cours d’arbitrage s’appuie plutôt sur les dispositions du Code du travail et l’arbitre n’est alors pas lié par les dispositions des lois précitées mais doit plutôt se demander s’il s’agit d’une preuve recevable et pertinente. Concluant que tel était le cas, l’arbitre rejette cet argument.
Plus intéressant à mon avis est l’analyse subséquente de l’argument du secret professionnel. À cet égard, l’arbitre se dit d’avis que pour qu’un témoin expert soit dispensé par le secret professionnel de dévoiler un fait ou un renseignement à caractère confidentiel, ce renseignement doit préalablement lui avoir été communiqué en raison de son statut de professionnel. L’arbitre souligne au passage qu’il faut distinguer entre d’une part les échanges avocat/médecin expert et les échanges médecin/médecin expert. Selon l’arbitre, les premiers sont protégés puisqu’ils relèvent des fonctions et donc du secret de l’avocat et non pas de celui du médecin.
Appliquant ces principes, l’arbitre se dit d’avis que les communications entre le directeur médical de l’employeur et le médecin expert ne sont pas protégés par le secret professionnel puisque dans un tel contexte, le médecin de l’employeur agit non pas dans le cadre de sa profession médicale mais plutôt, dans le cadre des fonctions administratives relatives à son emploi. L’arbitre ordonne en conséquence au médecin expert de produire copie du mandat qui lui a été donné.
Bien que cette décision confirme le secret professionnel rattaché au mandat donné par l’avocat au médecin expert, elle rappelle aussi qu’il vaut mieux être prudent lors de la rédaction d’une demande d’expertise et prendre pour acquis que cette demande sera éventuellement révélée. Si des informations sensibles doivent être portées à la connaissance du médecin expert, alors il vaut mieux qu’elles émanent de l’avocat plutôt que du représentant de l’employeur, qu’il soit médecin ou non.
II. L’exclusion des témoins et ses conséquences inattendues
Lors de la plupart des auditions, l’exclusion des témoins est demandée. Cette exclusion a pour but d’éviter qu’un témoin soit influencé par le témoignage d’une autre personne et que ce faisant, il ajuste son propre témoignage en conséquence. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’une personne dont on ne prévoit pas qu’il/elle aura à témoigner est soudainement requise de le faire suite à la preuve de la partie adverse?
C’est précisément ce qui s’est produit dans l’affaire Moncon Management Inc. (Hyatt Regency Montreal) et Syndicat des travailleuses et travailleurs de l’Hôtel Meridien de Montréal (CSN), D.T.E. 2011T-311 (T.A.), avec un résultat pour le moins surprenant. Dans cette affaire, le syndicat avait déposé divers griefs concernant l’abolition de postes de coordonatrices. Au début de l’audition, l’exclusion des témoins fut ordonnée. Puisque seulement deux (2) des quatre (4) salariées visées devaient être appelées à témoigner, les deux (2) autres assistèrent à la présentation de la preuve (au passage, il est étrange que des salariées aient été exclues de l’audition leur propre grief).
Après la présentation de la preuve syndicale et de la preuve patronale, un nouveau procureur fut substitué à la procureure du syndicat. Ce nouveau procureur a alors indiqué qu’il désirait faire entendre, en contre-preuve, la procureure préalablement substituée de même qu’une des salariées qui n’avait pas été exclue. L’employeur s’est alors objecté à ces témoignages.
Examinant les arguments des parties, l’arbitre se dit tout d’abord d’avis que bien que la survenance d’un imprévu puisse permettre d’échapper à la règle de l’exclusion des témoins, cette exception ne peut s’appliquer dans ce cas puisque les circonstances permettent de croire qu’il était raisonnablement prévisible que le témoignage de la salariée serait éventuellement requis. L’arbitre refuse donc d’entendre le témoignage de la salariée. L’arbitre refuse également d’entendre le témoignage de la procureure antérieure se disant d’avis que le droit fondamental à une représentation judiciaire efficace exige l’indépendance du procureur devant un tribunal et qu’en conséquence, elle ne pouvait agir à titre de procureure et de témoin dans le même dossier.
Cette décision est étonnante à plus d’un point de vue. En effet, il arrive assez fréquemment qu’après avoir complété sa preuve, une partie soit surprise par la preuve de la partie adverse et doive en conséquence appeler un témoin présent dans la salle durant les témoignages. Il arrive également que la preuve présentée par la partie adverse rende nécessaire le témoignage du procureur d’une partie pour des raisons que l’on ne pouvait anticiper au départ. Sans parler de la personne qui demeure dans la salle après avoir témoigné et qui doit revenir en contre-preuve en réaction à des éléments de preuve dont on ignorait l’existence à l’époque.
Pour rendre sa décision, l’arbitre devait départager d’une part l’objectif de la règle de l’exclusion des témoins et d’autre part, le refus d’entendre une preuve pertinente qui constitue un excès de juridiction justifiant la révision judiciaire. La règle de l’exclusion des témoins est importante pour assurer la crédibilité des témoins mais il faut se rappeler qu’elle vise, comme l’a souligné le procureur du syndicat dans cette affaire, à «donner plus de crédibilité aux personnes assignées à témoigner et non à les empêcher de témoigner».
Il me semble que l’arbitre aurait pu se contenter d’avertir le procureur du syndicat que la crédibilité respective de la salariée et de la procureure serait évaluée en tenant compte du fait que ces personnes ont entendu les autres témoignages. Quant à l’élément de l’indépendance de la procureure, il peut se justifier lorsque le témoignage du procureur était requis dès le départ. Mais j’ai beaucoup de difficulté avec l’idée qu’un procureur ne puisse par la suite agir comme témoin si cela s’avère nécessaire en raison de la preuve de la partie adverse. Après tout, le rôle du tribunal n’est-il pas la recherche de la vérité? Cette décision étant présentement en processus de révision judiciaire, nous aurons sous peu plus de détail sur le sujet. Entre-temps, la prudence est de mise avant de permettre à un intéressé d’assister à la présentation de la preuve!