De l’ombre: un trouble excessif ou non?

La semaine passée, M. Hugo Joncas publiait un article sur le site web lesaffaires.com.

Il écrivait que le promoteur d’un immeuble dans le quartier international devait contester différentes procédures judiciaires entreprises contre lui par le syndicat des copropriétaires d’un immeuble voisin. Ces procédures ont pour but d’empêcher le promoteur d’élever substantiellement la hauteur de l’immeuble en voie de transformation. Selon l’information obtenue par M. Joncas, le promoteur détient toutes les autorisations nécessaires aux travaux entrepris. Toutefois, l’immeuble, lorsque terminé, créera une zone considérable d’ombre aux immeubles voisins, dont l’immeuble du syndicat.

Plusieurs questions semblent se soulever dans ce litige, mais celle qui m’intéresse plus particulièrement aujourd’hui est la fameuse question des troubles de voisinage. En 2008, la Cour Suprême du Canada, dans l’affaire Ciment St-Laurent,

a statué qu’il existait deux formes de troubles de voisinage. Il existe, à tout le moins au Québec, la responsabilité d’un voisin en vertu du régime de responsabilité civile avec faute. C’est-à-dire que pour être tenu responsable, le voisin doit avoir commis une faute. Il s’agit du cas de responsabilité normale que nous voyons le plus fréquemment. Pas de surprise là.

Cependant, il existe également un régime de responsabilité sans faute, en vertu de l’article 976 C.c.Q. La Cour Suprême en vient effectivement à la conclusion que, même sans faute, si les inconvénients causés sont excessifs, le voisin peut être tenu responsable de dommages. Là, c’est déjà un peu plus surprenant. Des systèmes de responsabilité sans faute, il en existe plusieurs au Québec, mais ils sont généralement assez bien connus, par exemple, le système d’indemnisation des victimes en matière d’accidents impliquant un véhicule à moteur, sans égard à la faute, prévu à la Loi sur l’assurance automobile du Québec. Les régimes de responsabilités sans faute sont souvent étatisés, la connaissance de leur existence est ainsi très répandue dans la population.

Les gens connaissent moins le régime de responsabilité sans faute à l’égard des troubles de voisinage qui a été indéniablement reconnu par la Cour Suprême en 2008.

Dans le cas de Ciment St-Laurent, la Cour conclut que la cimenterie n’avait pas commis de faute. Comme cette dernière avait agi dans le respect des normes en vigueur, le régime de la responsabilité civile avec faute n’était donc d’aucune aide aux plaignants.

La cimenterie plaidait qu’elle ne pouvait être tenue responsable d’aucun préjudice puisqu’elle respectait intégralement la loi spéciale adoptée par la législature provinciale qui lui permettait d’opérer une cimenterie à cet endroit. Malgré ce fait, la Cour décida qu’une loi ne confère pas une immunité, à moins qu’il ne s’y trouve une clause spécifique d’exclusion du droit commun, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Donc, si l’opération de la cimenterie causait des désagréments excessifs, la cimenterie devait dédommager ses voisins. De fait, la cimenterie a dû indemniser ses voisins pour les inconvénients excessifs qu’ils subissaient.

Peu de temps après que la décision de la Cour Suprême ait été rendue, en décembre 2008, la Cour Supérieure du Québec a dû se pencher sur la question du trouble de voisinage sans faute. Il s’agit de l’affaire Raymond c. Goldberg. Dans cette affaire, le juge Mongeon devait, entre autres, décider si malgré toutes les autorisations nécessaires pour se faire et sa bonne foi, un propriétaire d’une maison à Westmount pouvait être empêché d’élever d’un étage sa maison parce que ce faisant il bloquerait partiellement la vue et la luminosité de la maison d’un voisin.   Le juge Mongeon a décidé que les inconvénients subis par l’ajout d’un étage n’avaient aucune commune mesure avec ce que les voisins de la Cimenterie St-Laurent devaient endurer. Il a rejeté le recours et réservé les droits du défendeur de poursuivre en dommage suite au maintien d’une ordonnance de sauvegarde jusqu’au jour du jugement, empêchant le défendeur d’entreprendre les travaux de construction.

Peu de temps après la décision rendue par le Juge Mongeon, le défendeur dans l’affaire précédente a, de fait, institué une action pour dommage causé par les effets de l’ordonnance de sauvegarde. Cette poursuite a cependant fait l’objet d’un règlement, la Cour Supérieure n’a donc pas eu à trancher la question, du moins dans ce dossier.

Alors, les questions sont :

— est-ce que l’ajout de plusieurs étages, dans le centre-ville de Montréal, causant de plus grandes périodes ou zones d’ombre, peut être considéré comme un inconvénient excessif?

— est-ce qu’en l’absence d’une injonction interdisant la poursuite des travaux, on peut gagner en recours en dommages suite à l’institution d’une action dont le but ultime est de faire arrêter un projet immobilier?

La Cour Supérieure devra apparemment se pencher sur ces questions un jour.

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