Impartialité en matière d’enquêtes – vous vous souvenez de la Commission Gomery?

Dans le contexte de la Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires (« Commission Gomery »), s’est posée la question du standard d’impartialité d’un commissaire enquêteur à l’égard de personnes directement mises en cause par l’enquête.

On se souviendra que le Commissaire Gomery avait fait certaines déclarations publiques pendant l’enquête, notamment que le programme des commandites avait été « mené de manière catastrophique » et qu’il y avait des « choses juteuses » encore à venir. Il avait également fait certains commentaires concernant l’ancien premier ministre Jean Chrétien, « C’est tellement décevant que le premier ministre ait fait inscrire son nom sur des balles de golf. C’est vraiment une attitude villageoise, vous savez, offrir des balles de golf gratis ».

Suite à la publication du rapport, la Cour fédérale a jugé que les propos du Commissaire suscitaient une crainte raisonnable de partialité à l’égard de M. Chrétien et de son chef de cabinet, M. Jean Pelletier, et elle a infirmé les conclusions défavorables rendues à leur endroit dans le rapport. Le standard d’impartialité retenu par la Cour fédérale dans ces dossiers était le test judiciaire de la crainte raisonnable de partialité. La décision de la Cour fédérale dans le dossier Chrétien a été confirmée en Cour d’appel fédérale sans que ne soit remis en question le standard d’impartialité, le Procureur général du Canada ayant concédé le point.

Dans un dossier parallèle, M. Alfonso Gagliano, anciennement ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, a aussi attaqué les conclusions du Commissaire Gomery à son endroit, se fondant particulièrement sur le comportement du Commissaire lors des audiences, plus précisément ses nombreuses interventions et interruptions, ainsi que le ton de ses interventions. Sa contestation a été rejetée par la Cour fédérale.

Dans une décision rendue le 29 juin 2011 (Gagliano c. L’honorable John Gomery et le Procureur général du Canada, 2011 CAF 217), la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel de M. Gagliano. La Cour analyse la question du standard d’impartialité applicable dans le cadre d’une enquête. La Cour rappelle qu’il existe des différences importantes entre une enquête et un tribunal. Lors d’une enquête, l’enquêteur ne dispose pas des éléments de preuve relatifs aux circonstances qui font l’objet de l’enquête. En effet, un enquêteur, « tout comme un fin limier », est animé de soupçons qu’il s’efforce de valider ou de dissiper dans sa recherche des faits.

Tel que l’indique la Cour, « soupçons, informations, spéculations, croyances, doutes, motifs raisonnables de croire, extrapolations et vérifications » font partie des étapes par lesquelles doit transiter un enquêteur. En somme, il faut se demander s’il existe une crainte raisonnable que l’enquêteur émette des conclusions sur un fondement autre que la preuve recueillie. À cet égard, la Cour confirme qu’il sera très difficile d’attaquer la conduite d’un enquêteur en cours d’enquête. Il faut principalement s’attarder au résultat final et vérifier si les conclusions de l’enquêteur sont étayées, jusqu’à un certain point, par la preuve recueillie.

La question de l’impartialité d’un commissaire dans le cadre d’une enquête publique a été traitée plusieurs fois en jurisprudence de manière plus ou moins cohérente, les tribunaux oscillant entre une interprétation judiciaire de l’impartialité et une application plus souple donnant une latitude au commissaire dans la conduite de son enquête.

La Cour d’appel fédérale opte résolument pour la deuxième approche dans le dossier Gagliano. Si on se fonde sur les principes énoncées dans cette décision, il sera difficile, mais cependant pas impossible, d’attaquer la conduite d’un enquêteur en cours d’enquête. La décision s’attarde principalement au rôle ou aux tactiques d’un enquêteur dans la recherche de la preuve. On doit, en somme, lui laisser une marge de manœuvre pour lui permettre de remplir son mandat. Par contre, on pourrait penser que le préjugé manifeste ou un abus clair de procédures pourrait malgré tout justifier la récusation d’un enquêteur en cours d’enquête. Par ailleurs, la conduite « périphérique » d’un enquêteur, par exemple des commentaires formulés à l’extérieur du cadre de l’enquête ou un conflit d’intérêts, pourrait possiblement faire l’objet d’un test d’impartialité plus rigoureux. Il faudra également voir quel sera l’impact de cette décision à l’extérieur du contexte particulier des enquêtes publiques. Plusieurs lois provinciales et fédérales confèrent en effet à des personnes les pouvoirs d’un commissaire enquêteur, notamment dans le cadre de régimes réglementaires.

Bien que la saga de la Commission Gomery tire à sa fin, ce n’est donc probablement pas le dernier mot des tribunaux sur la question de l’impartialité en matière d’enquêtes.

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