Le jeu décisif et le tennis
La coupe Rogers se dispute au Stade Uniprix entre les meilleurs tennismen du monde, Novak Djokovic, Rafael Nadal, Roger Federer, Andy Murray et compagnie. Si c’est toujours l’égalité après six jeux partout, ce qui suppose un certain nombre d’échanges, un mécanisme a été prévu depuis longtemps pour briser l’impasse et décider du jeu à l’intérieur du temps disponible et à des coûts abordables compte tenu des revenus dérivés de la télévision.
Dans le domaine de la résolution des différends, on s’inspire du tennis ainsi que d’autres sports pour inclure un jeu décisif (« tie breaker » ) lors de la conceptualisation du jeu afin de pouvoir arriver à une décision si, après un certain nombre d’échanges sur lesquels on s’était mis d’accord, les parties qui ne l’oublions pas sont aussi les décideurs se trouvent face à un obstacle dans leur chemin menant à la résolution.
Le dialogue leur offre un système susceptible de les aider, y compris par la participation du promoteur réalisateur polyvalent parfois médiateur, conciliateur, facilitateur, rassembleur, etc., dépendant du moment et du besoin, pour les encourager et les guider et parfois leur donner du leadership à point (just in time) sans leur enlever la responsabilité qui est la leur et est pleine de potentiel. Après le jeu décisif, on reviendra au dialogue pour la mise en oeuvre de la solution.
Donc, supposons que les parties décident de faire trancher une question ou un point, soit par le promoteur réalisateur, soit par quelqu’un appelé par les parties pour accomplir cette tâche spécifique et ponctuelle. C’est là qu’on peut dire que le dialogue et le débat s’intègrent jusqu’à un certain point. Cependant, dans un procès ou un arbitrage ou autre débat, c’est le juge ou l’arbitre qui décide de tout; c’est l’essence même du système contradictoire. Ce dernier système suppose que les parties ne sont pas en mesure de solutionner elles-mêmes leurs différends ou ne sont pas compétentes pour le faire.
L’appel au juge ou à l’arbitre est rare dans les faits, car le dialogue bien mené est très efficace. Je me rappelle qu’après avoir résolu par dialogue un litige opposant les copropriétaires d’un condo d’une part et le constructeur et les professionnels et leurs assureurs d’autre part, un des copropriétaires qui était aussi avocat s’est exclamé : « Oui, je suis extrêmement heureux du dénouement et des coûts abordables compte tenu du beau résultat obtenu, mais cela me fait peur quant à l’avenir des avocats plaideurs ».
Oui, dans le dialogue, on assiste à un changement du jeu. Ce changement de paradigme comporte un changement de rôles pour tous les joueurs. Par exemple, les juges au débat deviennent ceux qui font une place au dialogue, demeurent disponibles pour assurer le bon déroulement de l’instance, et même agissent à titre de promoteurs réalisateurs; les plaideurs deviennent des conseillers juridiques en apportant à l’attention des parties des précédents appropriés et en faisant valoir et ressortir la sagesse et de la jurisprudence et de la doctrine. Le vrai défi découlant de ce changement de paradigme se situe au niveau de la formation. Il s’agit d’un changement de la même nature que de passer du golf au tennis.
Même si le jeu décisif est peu utilisé, son inclusion sécurise les parties. Le cas échéant, le juge ou l’arbitre, interpellé et briefé par le promoteur réalisateur et les parties, doit agir en connaissance de cause et connaître la zone potentielle d’accord et les limites de consensus possibles dans l’affaire en question, car le consensus pourrait se situer à différents niveaux allant de l’enthousiasme à l’absence d’objection.
Ce juge ou arbitre ainsi interpellé et briefé intervient après que le dialogue a identifié, défini et précisé la question découlant des échanges. Le dialogue remplace les plaidoiries et permet souvent aux parties elles-mêmes de répondre à cette question ou, le cas échéant, permet à un tiers de répondre à la question qui fait obstacle, d’une manière acceptable pour les parties. Il convient à l’occasion que la réponse vienne de la bouche d’un tiers même si la réponse est un reflet de leurs sentiments.
À l’extérieur du palais de justice ou sans clause d’arbitrage, le jeu décisif est à créer sur mesure, en fonction de la situation. Au cours du déroulement de la démarche, il se peut que le promoteur réalisateur soit le mieux placé pour jouer le rôle du décideur pour les fins du jeu décisif, car les parties contrôlent le processus et sont en mesure d’apporter les modifications nécessaires ou utiles; le dialogue est souple et s’adapte constamment aux circonstances.
Si on a frappé à la porte du palais de justice ou signé un contrat contenant une clause d’arbitrage, c’est l’inverse qui se produit : le dialogue est à créer en fonction de la situation et en alignement avec le jeu décisif déjà en place. C’est ce que le législateur a prévu pour ceux qui frappent à la porte du palais – le procès ou l’arbitrage sont des jeux décisifs, soit après débat, soit après dialogue. (La Cour par la voie de la gestion du débat empêche la reprise du combat.)
Novak, Rafael, Roger, Andy et compagnie jouent pour gagner le tournoi et la première place. C’est la règle du jeu : un gagnant et combien de perdants. Dans un dialogue, le commun des mortels recherche la satisfaction de ses intérêts dans le respect de ses droits. Il y a souvent plusieurs solutions possibles dont une solution faite sur mesure par les parties elles-mêmes qui convienne aux parties.
Donc, c’est la coexistence, l’intégration et l’interaction des deux systèmes, ce que j’appelle l’innovation et la rénovation. On s’inspire des meilleurs atouts de chacun, y compris leurs façons de contrôler les risques, en faisant une combinaison des éléments de la justice. À la base de l’économie se trouve la collaboration. Même les tennismen collaborent.