Services juridiques 2.0 – où devrait intervenir l’avocat?
Il n’y a pas de doute que nous vivons dans une ère de changement dans la livraison des services juridiques. Une édition récente de la revue Canadian Lawyer nous présente un constat entendu de plus en plus fréquemment dans les cercles juridiques : les clients n’acceptent plus de payer le plein tarif pour le travail de base, tel la recherche, la rédaction contractuelle et la révision documentaire. Une des solutions nous dit-on c’est l’impartition, à proximité ou à l’autre bout du monde; il faut trouver des gens (noter que je n’ai pas dit des avocats) moins chers pour faire le travail. L’autre solution consiste à développer des banques de modèles très volumineuses capables de couvrir une multitude de situations juridiques.
L’idée de transformer une bonne partie du travail de l’avocat en une commodité a le vent dans les voiles et certaines entreprises utilisent la technologie pour pousser ces idées à leur expression ultime sur le web.
Récemment, selon un article dans Forbes, Google Ventures a investi 18,5 millions de dollars dans Rocket Lawyer, un service juridique en ligne. Rocket Lawyer fournit testaments, certificats d’incorporations et autres documents pour un tarif mensuel très faible. De plus, les clients peuvent avoir leurs documents révisés par un avocat (un vrai). Selon le même article, leur compétiteur, LegalZoom, a également des gros noms derrière lui avec des dirigeants de Berkshire Hathaway et Intel sur son conseil d’administration .
Il est certain que pour une petite entreprise, la formule apparaît intéressante. Rocket Lawyer donne accès à des banques de documents modèles de base pour pas cher et des références à des avocats locaux à partir de la base de données de l’entreprise s’il y a un besoin particulier. J’ai regardé le processus de création du document de licence disponible sur le site de Rocket Lawyer. Celui-ci est décrit comme faisant suite à une entrevue facile en ligne. En effet, le processus consiste en une série de questions dont les réponses sont intégrées dans le document modèle. Cependant, les conseils aux utilisateurs stipulent aussi de se référer à un avocat si la situation présente des éléments inhabituels. Je me demande toutefois comment le non-juriste fait pour savoir s’il est devant une telle situation?
Le principal défaut, selon moi, de ce type de système de guichet automatique de services juridiques est le moment de l’intervention de l’avocat.
L’avocat intervient en dernier, lorsque les non-avocats (l’utilisateur ou la technologie) on décelé un problème, ou pas du tout.
Il est évident que le métier change et que la technologie jouera un rôle de plus en plus important, mais je persiste à croire que la valeur ajoutée de l’avocat est maximisée lorsqu’il intervient au début de l’analyse d’une situation juridique, pour écouter les faits et donner conseil. Je vous donne un exemple. Récemment un client me contacte pour une incorporation au Québec. Nous échangeons des courriels et il insiste que c’est ce dont il a besoin. Mais il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans cette histoire et je le contacte par téléphone pour me rendre compte que ce qu’il veut vraiment c’est protéger une marque. Une conversation avec un de mes collègues en propriété intellectuelle a suffit pour lui permettre de prendre une décision d’affaires sur son projet.
Or, s’il avait décidé d’utiliser un service de documentation juridique, il est fort possible que notre client aurait demandé et obtenu (pour pas cher) l’incorporation qu’il voulait, mais pas la protection ni, surtout le conseil que ça lui prenait.
Il me semble donc que la valeur de l’avocat réside en sa capacité d’analyse des faits en regard avec le droit applicable et les conseils qui en découlent. Utiliser l’avocat après coup pour déboucher les blocages le réduit à une sorte de plombier juridique, alors qu’il est possible de s’en servir comme architecte. Dieu sait qu’il y a beaucoup de clients qui se servent de leurs avocats comme plombier aujourd’hui mais si nous sommes en train de créer le futur, pourquoi pas en créer un dans lequel les avocats sont utilisés au bon moment dans le processus, c’est-à-dire au début.
De cette façon, la technologie sera optimisée puisque le client sera guidé par l’outil de triage des solutions juridiques qui est le cerveau de l’avocat.