L’évaluation de la performance des enseignants : pas si simple que ça

Comme vous l’avez peut-être remarqué, le journal La Presse a publié, au cours des derniers jours, un reportage de plusieurs pages traitant de l’évaluation des enseignants et, le cas échéant, du renvoi possible de ceux jugés « non performants ». Il faut dire qu’il ne s’agit pas là d’un nouveau sujet, cette discussion étant sur toutes les lèvres particulièrement depuis la présentation par François Legault de sa proposition en matière d’éducation (http://www.coalitionavenir.org/publications.php).

Ce qui m’agace dans les différents échanges sur le sujet c’est l’impression qui s’en dégage que présentement, les autorités scolaires ne font absolument aucun suivi, aucune évaluation et n’interviennent pas dans le cas d’enseignants non performants. Les expressions du style « on tolère la médiocrité dans nos écoles » (http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201109/02/01-4431305-doit-on-tolerer-lincompetence-en-education.php) ou encore « un enseignant «moyen» peut poursuivre toute sa carrière sans acquérir de nouvelles qualifications ni être inquiété outre mesure par la direction de son école » (http://www.cyberpresse.ca/actualites/quebec-canada/education/201109/03/01-4431346-enseignants-de-tres-rares-congediements.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_meme_auteur_4431305_article_POS3), ne sont que 2 exemples de ce que l’on peut entendre de nos jours sur toutes les tribunes. Mais toute personne qui a travaillé le moindrement au niveau des ressources humaines sait qu’il est beaucoup moins facile que l’on pense d’évaluer et ultimement, de mettre fin à l’emploi d’un employé non performant.

Tout d’abord, les tribunaux, qu’il s’agisse de la Commission des relations du travail, des arbitres de griefs ou des tribunaux civils, exigent un fardeau de preuve important et de nombreuses mesures progressives avant d’y arriver. En gros, la plupart des décisions retiennent que l’employeur doit démontrer :

1) que le salarié concerné n’est pas performant ;

2) qu’il l’a avisé clairement du problème de performance ainsi que de ses attentes ;

3) qu’il lui a donné une période de temps raisonnable pour arriver à résoudre ses problèmes de performance (accompagné de divers avis faisant état, le cas échéant, de l’absence d’amélioration) ;

4) qu’il lui a fourni l’aide requise ;

5) qu’il l’a avisé formellement qu’à défaut d’amélioration, son emploi devrait être terminé ;

6) que malgré tout ce qui précède, le salarié n’est pas en mesure d’apporter les correctifs requis.

Chacun de ses éléments peut poser problème au niveau des enseignants. Tout d’abord, qu’est-ce que la non-performance ? Est-ce le taux de succès des élèves aux examens ? Chaque milieu est différent et il serait injuste de ne retenir que ça. Et comme le disait l’article de La Presse en référant à la situation de Washington, il serait trop facile pour un enseignant de gonfler artificiellement les résultats. Mais si ce n’est pas les résultats scolaires, quel est le critère applicable ?

Autre problème. S’il est parfois difficile d’évaluer objectivement des salariés exécutant des tâches simples, imaginer lorsque l’on arrive à des tâches plus complexes telles qu’enseigner à des élèves. Pour avoir eu un grand nombre d’enseignants dans ma vie, je peux affirmer que leur méthode respective variait grandement de l’un à l’autre. Qui avait la bonne méthode ? Ça dépend du point de vue. Une méthode peut être meilleure pour moi et une autre pour vous. Vous pourriez tenter de me convaincre qu’un enseignant est incompétent mais je pourrais être de l’avis contraire.

Comment dans ce contexte évaluer objectivement les enseignants ? Des critères existent sûrement mais ce n’est certainement pas aussi simple qu’on le laisse entendre. Par exemple, pour évaluer les enseignants, il faut des évaluateurs. Doit-on demander à ces évaluateurs de s’asseoir dans la classe et d’évaluer l’enseignant ? Pendant combien de temps ? Selon de vieilles statistiques datant de 2007-2008 émanant du site web de la Fédération des commissions scolaires du Québec (http://www.fcsq.qc.ca/commissions/role/stat1.html), il y avait alors 2362 écoles au Québec. Multipliez ce nombre par le nombre de classes par école et vous avez une idée de l’ampleur de la tâche.

Les gestionnaires des ressources humaines peuvent encadrer le processus d’évaluation mais peuvent difficilement déterminer si une personne est ou non un bon enseignant. Qui alors le fera ? Le directeur de l’école ou son ou ses adjoints ? Peut-on de façon réaliste leur ajouter ce fardeau ? Et si oui, les directeurs auront-ils tous la capacité de le faire ? Combien de fois j’ai vu des dossiers où un salarié était soi-disant « non-performant » depuis des années pour découvrir en cours de route que ses évaluations annuelles étaient positives car l’évaluateur ne pouvait se passer du salarié, ne voulait pas le vexer ou voulait garder l’exercice prétendument « positif ».

À cela s’ajoute un problème important de pénurie d’enseignants (http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/actualites/education/201105/09/01-4397763-penurie-de-professeurs-a-lhorizon.php). Par qui remplacerons-nous les enseignants dits « médiocres » ?

Que l’on se comprenne bien, je ne prétends pas que les commissions scolaires n’ont pas à évaluer leur personnel enseignant. Au contraire, je crois qu’il s’agit d’un exercice important puisque après tout, c’est l’éducation de nos enfants qui est en cause. Mais il m’apparaît injuste d’accuser les commissions scolaires de tolérer la médiocrité sans comprendre la complexité du processus d’évaluation, particulièrement lorsque vous avez des milliers d’enseignants à évaluer.

Que la plupart des congédiements d’enseignants soient pour des motifs graves tels inconduite de nature sexuelle ou offense reliée aux stupéfiants ne devrait surprendre personne. Il s’agit là de gestes objectivement graves qui sont faciles à sanctionner et qui ne nécessitent pas un long processus parfois échelonné sur des années. Il en va autrement de l’incompétence.

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