Le « Flip d’actifs » et les ombres chinoises de l’insolvabilité (partie 1)

Pour ce premier blogue dans le domaine de la faillite et de l’insolvabilité, quoi de mieux que de vous entretenir du fameux « flip d’actifs » qui fait grincher des dents plus d’un prêteur ou fournisseur impayé, mais aussi les compétiteurs de l’entreprise insolvable. En effet, il n’est pas rare de voir une entreprise continuer en affaires, sans aucune interruption des opérations, avec les mêmes clients, les mêmes employés, les mêmes propriétaires, les mêmes locaux et souvent la même raison sociale accompagnée de l’année entre parenthèses, comme « Les Pavages Sans Soumissions (2011) Inc. ». Par contre, toutes les dettes seront larguées, avec les contrats onéreux et les employés ou place d’affaires superflus. La nouvelle entité n’aura plus de passifs et pourra donc continuer à couper les prix, au désespoir de ses compétiteurs. Pire encore, les fournisseurs impayés devront augmenter leurs prix pour récupérer de l’ensemble de leurs clients les pertes causées par l’auteur du flip. Mais pour en discuter, il faut y aller d’un petit exercice de vocabulaire pour voir ce qui se cache derrière les termes « faillite », « proposition », « concordat», « arrangement », « séquestre », « liquidation » et « vente d’entreprise » pour en arriver au subtil « flip ».

Avec mes 30 années d’expérience dans ce domaine, je peux vous assurer que ce qui se passe dans un dossier de faillite ou de restructuration n’est pas toujours ce que rapportent les avis aux créanciers, les documents et rapports judiciaires ou même les journaux. En effet, les syndics et avocats d’insolvabilité préparent et savent souvent des mois à l’avance ce qui deviendra connu du public seulement à la fin du dossier. Le tout se fait dans le respect de la loi mais peut offenser une certaine moralité commerciale.

En effet, comme au théâtre des ombres chinoises, ce qui se passe derrière la toile n’est pas toujours ce qu’on voit devant : au théâtre chinois, ce n’est pas un oiseau, mais une personne qui en fait la forme avec ses doigts; en insolvabilité, ce n’est pas une proposition concordataire, mais un « flip » d’actifs qui se prépare…

Lorsqu’une entreprise devient insolvable, il y a essentiellement quatre scénarios qui peuvent se produire. Ils sont souvent alternatifs, mais peuvent parfois se succéder ou se superposer si la situation évolue autrement que ce qui avait été planifié par ceux qui projettent les ombres et pilotent le dossier. Ces quatre scénarios sont la liquidation des actifs, la vente de l’entreprise, la véritable restructuration et le fameux « flip ».

Le premier scénario, le plus simple, mais pas nécessairement le plus fréquent est celui de la liquidation des actifs pure et simple. Dans ce scénario, l’entreprise n’a plus d’espoir de survie, comme le livreur de glace remplacé par le réfrigérateur électrique ou le club Blockbuster remplacé par Netflix. Les actifs seront vendus à la pièce, encantés et dispersés, les ex-employés se trouveront un autre travail, l’achalandage de l’entreprise disparaîtra ou se retrouvera gratuitement chez les compétiteurs.

Il y a de très nombreux scénarios pour arriver à une liquidation des actifs d’une entreprise. Il pourrait y avoir une liquidation ordonnée ou même une liquidation désordonnée ou non contrôlée.

Ainsi, l’entreprise pourrait vendre ses actifs hors du cours ordinaire des affaires, parfois les transférer à vil prix, payer certains de ses créanciers prioritaires ou non et disparaître sans jamais recourir aux lois d’insolvabilité ni être l’objet d’une procédure judiciaire quelconque. Les journaux rapportent alors qu’elle a « fermé ses portes ».

Plus souvent, le banquier ou le principal créancier garanti demandera au tribunal de nommer un syndic autorisé comme « séquestre » afin de prendre possession et de vendre les biens grevés par les hypothèques consenties en sa faveur. Le séquestre remettra ensuite le produit de vente aux créanciers garantis après avoir payé ses frais et déboursés et les créances prioritaires. Même si le séquestre est un syndic de faillite, il agit exclusivement pour le bénéfice du créancier garanti et non pas pour le bénéfice de l’ensemble des créanciers. Le séquestre se limitera à expédier un avis de sa nomination aux créanciers et aucune assemblée de créanciers n’aura lieu et aucun processus de production de preuve de réclamation ne sera engagé. Parfois, le créancier garanti ou l’entreprise choisiront de faire faillite et la liquidation aura lieu par un syndic de faillite, mais souvent au bénéfice exclusif du premier créancier garanti. Dans le cadre d’une « vraie » faillite, une assemblée des créanciers doit avoir lieu et des preuves de réclamation doivent être produites par les créanciers. Le syndic représente alors tous les créanciers. Nous sommes alors en présence d’une véritable faillite dans le sens commun du terme.

Le second scénario est très fréquent, c’est celui de la vente d’entreprise dans un contexte d’insolvabilité. Ce scénario peut parfois se confondre avec celui de la liquidation des actifs. La vente d’entreprise peut se faire dans le cadre d’une cession de biens, à savoir une faillite volontaire ou encore d’une faillite forcée à la demande d’un créancier ou dans le cadre de la nomination d’un séquestre. Le syndic de faillite ou le séquestre prend alors possession des biens de l’entreprise pour tenter de les vendre comme une entreprise opérante ou à défaut, il procédera à la liquidation des actifs à la pièce ou par encan. Le produit de réalisation sera distribué aux créanciers selon leur rang et plus souvent qu’autrement seuls les frais et déboursés du syndic et une partie du montant dû aux créanciers garantis seront payés.

Une alternative plus sophistiquée à la liquidation des actifs et à la vente d’entreprise est de procéder sous le couvert d’un plus ou moins prétendu processus de réorganisation. Cette réorganisation se fera sur une des deux lois générales d’insolvabilité applicables au Canada. L’entreprise utilisera soit d’un avis d’intention de faire une proposition suivi d’une proposition (autrefois concordat ou proposition concordataire) en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou soit un arrangement, dans ce dernier cas en vertu du fameux C-36 ou CCAA ou LACC, à savoir la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Dans chacun de ces cas, après l’ouverture de la procédure judiciaire de réorganisation, le syndic ou le contrôleur mettra en place un processus d’appel d’offres en vue de la vente d’entreprise ou de la liquidation des actifs. Le processus de vente pourra parfois être complété avant même le dépôt d’une proposition ou d’un arrangement, avant la tenue d’une assemblée des créanciers et avant qu’ils exercent leur droit de vote. La vente devra alors être approuvée au préalable par le tribunal. Après la vente, l’entreprise fera souvent faillite alors que tous ses actifs ont été vendus, souvent au profit du créancier garanti. Par exemple, le Groupe DuMoulin Électronique a vendu ses actifs pendant un C-36, avec la permission de la Cour, et les procédures d’insolvabilité ont par la suite pris fin abruptement, sans arrangement offert aux fournisseurs.

Lors de l’ouverture des procédures de restructuration, les communiqués de presse et les journaux parlent souvent de « restructuration », de refinancement, de nouvel investisseur etc. alors qu’il est évident ou qu’il devient rapidement évident que nous sommes en présence d’une liquidation des actifs ou d’une vente d’entreprise. Parfois, la vente aura lieu après l’assemblée des créanciers et leur vote lorsqu’une proposition ou un arrangement dit « de liquidation » est déposé. Dans ce cas, l’offre aux créanciers devra être supérieure au résultat qu’ils obtiendraient dans une faillite.

Dans notre prochain blogue, il sera question de deux autres types de dossier d’insolvabilité, soit la véritable restructuration et le fameux « flip ».

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