La coopération, une attente légitime
Promouvoir la coopération, contrer la non coopération et rétablir la coopération, voilà la dynamique de l’économie mais aussi de la résolution des différends. Souvent, le promoteur réalisateur doit induire les intéressés à coopérer plutôt qu’à poursuivre d’autres stratégies comme la compétition, l’accommodement ou l’évitement. La coopération permet à chacun des intéressés de réaliser des gains simultanément.
La recherche a démontré que la coopération dépend des 5 facteurs suivants et indique les actions à prendre :
- l’ombre projetée par l’avenir sur le présent – augmenter l’ombre
- les gains – les modifier
- le souci les uns des autres – l’enseigner
- la réciprocité – l’enseigner
- les capacités de reconnaissance – les améliorer.
À noter que la confiance ne fait pas partie des facteurs ci-dessus; il n’est pas absolument nécessaire d’avoir confiance dans l’autre avant de commencer à coopérer.
Dans la plupart des différends, les intéressés se trouvent dans une situation donnée, par exemple il s’agit d’une famille, de relations de voisinage, d’affaires, de partenariat, de citoyens. C’est de plus en plus exceptionnel dans notre monde que les intéressés n’aient pas d’ombre projetée par l’avenir sur le présent. C’est cette ombre qui rend possible la coopération.
Les gains n’ont pas besoin d’être spectaculaires, mais ils doivent satisfaire des besoins, par exemple, le besoin de recevoir des informations authentiques, celui d’être écouté, d’être valorisé, le besoin d’influencer son destin, le besoin de sociabilité, le besoin d’apprendre. Le promoteur réalisateur prend des mesures pour assurer aux intéressés des gains dès le début du processus.
Le souci les uns des autres est enseigné au fur et à mesure par les narrations des uns aux autres. On met en œuvre un outil très puissant, l’empathie, soit voir le monde avec les yeux des autres sans abandonner notre propre façon de voir le monde. Quand on souffre soi-même, ce n’est pas facile de vivre même momentanément la peine des autres.
La réciprocité, le cœur des échanges tant du marché que de la générosité, est de mise à tous les instants dans la résolution des différends : on se donne des informations authentiques, on s’écoute mutuellement, on se valorise, on contrôle le processus conjointement, on communique, on apprend les uns des autres, on traite des questions à fond plutôt qu’attaquer les personnes.
Les capacités de reconnaissance relèvent de la mémoire. Quand les intéressés se parlent, la mémoire se crée et l’histoire s’écrit informellement, ce qui leur permet d’agir avec intelligence et sagesse dans le présent en perspective du futur. On ne peut pas changer le passé, mais on peut faire des choix pour le présent et pour le futur. On peut faire des ajustements, des virages, toujours en acceptant et valorisant les personnes.
Que faire face à la non coopération? C’est la question qui s’est posée le lendemain du massacre du 22 juillet 2011 en Norvège, la même qui s’est posée le lendemain du 11 septembre 2001, qui se pose encore aujourd’hui face à la violence, la fraude et la corruption. La riposte? L’instinct nous dicte le combat ou la fuite. L’intuition nous recommande la cognition. Or, la cognition exige qu’on réfléchisse, qu’on fasse des recherches, qu’on vive le deuil de la perte, qu’on consulte et qu’on se concerte. Trouver la riposte appropriée dans une circonstance donnée n’est pas facile, comme en peuvent témoigner les parents qui cherchent des « conséquences » appropriées à donner à leurs marmots récalcitrants.
La recherche mentionnée plus haut, telle que rapportée par Robert Axelrod dans son livre The Evolution of Cooperation, traduit « Donnant, donnant – théorie du comportement coopératif », nous propose la stratégie cognitive donnant, donnant que j’ai appliquée de concert avec des parties face à la non coopération d’autres parties afin de rétablir la coopération. La confiance s’installe progressivement.
En anglais, la stratégie porte le nom de Tit-for-Tat, ce qui ne rend pas justice à la stratégie. La traduction « donnant, donnant » est fort intéressante. Or, la stratégie ne dit pas de répondre à la violence par la violence mais d’y répondre par la non-violence. On affirme ce qu’on veut – la coopération; on ne l’abandonne pas. On passe soi-même à la non coopération par un acte cognitif mesuré. Et ensuite on revient à la coopération. Voici une description de la stratégie.
“TIT-FOR-TAT AND THE HIGH PROFITS FROM COOPERATION
“The most persuasive evidence regarding the profitability of negotiation strategies comes from an experiment conducted at the University of Michigan by Robert Axelrod and reported in his excellent book, THE EVOLUTION OF COOPERATION (Basic Books, 1984).
“Axelrod used a dollar-based variation of the famous « prisoner’s dilemma » problem to test whether a cooperative or a « selfish » or aggressive negotiating strategy would gain the largest dollar profits. By now it is well known that TIT-FOR-TAT, an exceptionally wise and disciplined cooperative strategy, was clearly the most profitable.
“It bears emphasis that TIT-FOR-TAT won because it produced the greatest individual profits, and for this reason alone it deserves our attention. But lawyers are members of a public profession and care a good deal about the influence their actions have on society as a whole.
“With this in mind, we shouldn’t ignore that TIT-FOR-TAT produced not only the highest individual profits, but the most impressive joint gains as well. Joint gains are especially interesting because, by definition, they come not at the expense of either side, but rather to the benefit of both. Everyone benefits by joint gains.
“To appreciate the power as well as the possible limitations of TIT-FOR-TAT it is recommended that negotiators read Axelrod’s book and at least some of the commentary it has spawned. However, the profitability of the TIT-FOR-TAT strategy has been summed up, by Axelrod and by commentators, in six attributes or characteristics:
1. It begins cooperatively;
2. It retaliates perfectly, which means it retaliates:
a. Immediately,
b. Unambiguously, and
c. Appropriately;
3. It is perfectly trustworthy (it never defects first)
4. It is perfectly forgiving, which means it forgives:
a. Immediately,
b. Unambiguously, and
c. Appropriately;
5. It does not object to gains made by the other side (it is perfectly happy to let the other side maximize its profits — indeed, to encourage it — so long as this doesn’t interfere with its own profits)
6. It is perfectly patient (it doesn’t lose patience and try to shortcut the negotiation process — it accepts negotiation process as its method of choice for arriving at results; it doesn’t use « take it or leave it » as a strategy.”
Source: Gerald R. Williams, « A Lawyer’s Handbook for
EFFECTIVE NEGOTIATION AND SETTLEMENT », pp. 92-94
Gandhi, Martin Luther King, Jr, Harry Truman, George C. Marshall, Robert Schuman, Jean Monnet ont fait la démonstration de la coopération en action. Par les temps qui courent, on se sent impuissants devant le drame et la crise qui se jouent devant nous aux États-Unis. D’après Bill Clinton, la coopération est bonne pour l’économie, mais le conflit est bon pour la politique. Donc, il y a un manque de cohésion entre le monde économique et le monde politique. (Meet the Press, émission du 18 septembre 2011.) Pourtant, les gouvernements et les investisseurs sont des acteurs incontournables et doivent coopérer.
Je soumets que la notion de coopération continue d’évoluer. Dans les circonstances, il incombe à chacun de donner un coup de main à cette évolution, cas par cas, dossier par dossier, en se servant au besoin de la stratégie de Donnant, donnant pour contrer la non coopération. Ce faisant, tel que suggéré par Polonius à son fils Laertes dans Hamlet, vous serez loyal envers vous-même et, aussi infailliblement que la nuit suit le jour, vous ne pourrez être déloyal envers personne.