Le «Flip d’actifs» et les ombres chinoises de l’insolvabilité (Partie 2)

Dans mon premier blogue, il a été question des liquidations d’actifs et des ventes d’entreprises insolvables, souvent déguisées comme des restructurations par le jeu des ombres chinoises des procédures d’insolvabilité.

Dans ce blogue, il sera question de la véritable restructuration et du fameux « flip ».

La véritable restructuration aura lieu lorsque l’entreprise, au bénéfice de ses actionnaires, présente une proposition ou un arrangement à ses créanciers qui recevront alors une partie de leurs créances, en un ou plusieurs versements, ce qui permettra à l’entreprise de continuer en affaires et de redevenir solvable sous le contrôle des mêmes propriétaires ou avec de nouveaux partenaires.

La restructuration prendra la forme d’une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, souvent précédée par une période d’avis d’intention qui peut durer jusqu’à six mois.

Pour les grandes entreprises comme Abitibi Bowater, Air Canada, Nortel et autres, la restructuration se fera sous le couvert de la LACC ou C-36, en anglais CCAA,  à savoir la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Les syndics, toujours les mêmes cabinets mais coiffés d’un autre chapeau, porteront alors le nom de « contrôleurs » et auront un rôle plus limité. L’entreprise demeure en plein contrôle de ses actifs sous la supervision du tribunal à qui le contrôleur fera des rapports périodiques.

La LACC est une loi datant de la Grande Dépression, ressuscitée lors de la crise immobilière des années 1990 avec Olympia & York, Steinberg et autres grands dossiers. Elle a depuis été fortement amendée pour importer des concepts semblables au chapitre 11 du U.S. Bankruptcy Code, d’autres concepts de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, le tout en laissant une grande discrétion aux tribunaux pour faciliter l’arrangement.

Malheureusement, il est difficile de compléter avec succès une véritable restructuration. En effet, en plus de l’impact fiscal négatif important résultant de l’annulation d’une partie du passif, le financement intérimaire est difficile à obtenir et les frais juridiques et de restructuration sont souvent très élevés. De plus, le temps nécessaire pour obtenir les consentements requis à l’approbation de la proposition ou du plan d’arrangement est souvent trop long. L’entreprise n’a alors pas les liquidités pour compléter sa restructuration. Plus souvent qu’autrement, il sera évident que seuls les propriétaires de l’entreprise insolvable peuvent raisonnablement se porter acquéreurs des actifs dans le cadre d’un processus de vente. Ce sera alors le scénario idéal pour procéder à un « flip ». Dans ces cas, le principal créancier garanti détiendra un cautionnement du principal dirigeant et actionnaire de l’entreprise. Ce dernier aura donc intérêt à offrir un prix supérieur à la valeur de liquidation afin de limiter sa responsabilité sur le cautionnement, en autant évidemment que le créancier garanti finance une nouvelle entité juridique qui se porte acquéreur des actifs. Ainsi, que le « flip » ait lieu sous le couvert d’une faillite, d’un séquestre, d’une proposition ou d’un arrangement, l’entreprise laissera derrière toutes ses dettes et le principal dirigeant deviendra seul propriétaire des actifs, libre de toute charge, en « assumant » la créance du prêteur dans un nouveau prêt fait à la nouvelle entité qui achète les actifs.

Lorsque les enchérisseurs potentiels soupçonnent que le créancier garanti entend financer un « flip », ils seront évidemment découragés d’entreprendre des démarches de vérification diligente et de dépenser des honoraires en vue de soumettre une offre. Puisque les actifs sont toujours vendus par les syndics, séquestres et contrôleurs sans garantie ni représentation, aux risques et périls de l’acheteur, les tiers assument un risque d’affaires plus grand que le dirigeant qui connaît l’entreprise. Les frais de vérification diligente sont d’ailleurs engagés en grande partie avant qu’une entente préalable n’intervienne. On constate aussi que même si la vente est précédée d’un processus d’appel de soumission, l’absence de clause de non-concurrence de la part du principal dirigeant, les nombreux aléas d’une vente sans représentation ni garantie, les coûts cachés d’une acquisition dans un contexte d’insolvabilité (surcharge des anciens fournisseurs, perte de clients, renégociations de contrat, etc.) font en sorte que les tiers et compétiteurs ne seront pas capables de valoriser les actifs autant que l’ancien propriétaire, de sorte que le « flip » est souvent la seule alternative acceptable.

C’est donc dans ces circonstances que le tribunal autorisera un « flip » d’actifs. Comme mentionné dans mon blogue précédent, on verra alors une entreprise continuer en affaires, sans aucune interruption des opérations, avec les mêmes clients, les mêmes employés, les mêmes propriétaires, les mêmes locaux et souvent la même raison sociale accompagnée de l’année entre parenthèses, comme « Les Pavages Sans Soumissions (2011) Inc. ». Mais par contre toutes les dettes seront larguées, avec les contrats onéreux et les employés ou place d’affaires superflus. La nouvelle entité n’aura plus de passifs et pourra donc continuer à couper les prix, au désespoir de ses compétiteurs. Pire encore, les fournisseurs impayés devront augmenter leurs prix pour récupérer de l’ensemble de leurs clients les pertes causées par l’auteur du flip.

En résumé, il n’est donc pas fréquent qu’un processus d’appel d’offres produise une véritable enchère qui profitera aux créanciers ordinaires.

Dans mes prochains blogues, nous allons mettre en application ces notions en voyant si la vue du Château Frontenac est obstruée par les ombres chinoises de l’insolvabilité. En effet, de la Terrasse Dufferin, devant le Château Frontenac, on peut voir deux grandes entreprises insolvables de la Vieille Capitale qui ont fait les manchettes jusqu’à Montréal : le chantier maritime Davie et la papetière White Birch.

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