La vue du Château Frontenac (Partie 2) : Les chantiers Davie

Nous allons voir si la vue du Château Frontenac est obstruée par les ombres chinoises de l’insolvabilité dont je vous ai parlé dans mes blogues précédents .

En effet, de la Terrasse Dufferin devant le Château Frontenac, on peut voir deux grandes entreprises insolvables de la Vieille Capitale qui ont fait les manchettes jusqu’à Montréal : le chantier maritime Davie et la papetière White Birch. Je vous ai parlé de White Birch dans mon dernier blogue.

Le dossier Chantiers Davie semble avoir connu un dénouement favorable à la fin juillet 2011. Le chantier avait passé environ huit ans sous la protection des lois d’insolvabilité entre 1998 et 2006, avant d’être vendu à TECO Maritime ASA de Norvège en 2008. Peu de temps après, soit dès le 25 février 2010, le nouveau propriétaire lançait la serviette et déposait une requête pour une ordonnance en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) nommant Deloitte à titre de contrôleur. Investissement Québec était le principal créancier garanti de Chantiers Davie. Dès le départ, un nouveau CEO est nommé et les 1 600 employés sont mis à pied. Il devient manifeste qu’un changement de propriétaire s’impose.

Dans son communiqué de presse initial, Davie annonce qu’elle cherche à obtenir du financement additionnel pour compléter les projets sous contrat. Cependant, dans les mois qui suivent, on commence à rechercher des acheteurs. Le seul financement qui sera obtenu sera un financement intérimaire prioritaire consenti par Investissement Québec qui vise essentiellement à protéger sa créance, assurer la survie du chantier et à lui permettre de déposer une soumission qualificative dans le cadre du programme fédéral d’acquisition de navires d’un montant de 35 milliards de dollars qui vient alors d’être annoncé. Davie et quatre autres chantiers navals canadiens seront accrédités sous ce programme en 2010, ce qui suscite l’intérêt de divers groupes. C’est finalement le chantier naval italien Fincantieri qui signe une entente exclusive avec Davie à l’automne 2010 avec la permission du tribunal. Le délai pour déposer un arrangement est prorogé à plusieurs reprises par le tribunal pendant que les négociations se continuent entre les parties impliquées. L’échéance du dépôt des soumissions, dans le cadre du programme fédéral, est reportée in extremis de trois semaines et la date butoir est fixée péremptoirement au 21 juillet 2011. Seuls Davie, Irving de Halifax et un chantier naval de Colombie-Britannique demeurent dans la course pour le programme fédéral.

À la surprise de tous, Davie annonce le 14 juillet 2011 qu’elle a mis fin à ses négociations avec Fincantieri. La liquidation et la faillite semblent alors inévitables. Dans les jours qui suivent, un consortium formé de Upper Lakes Group, de SNC-Lavalin Defence Contractors inc. et Daewoo Shipbuilding & Marine Engineering Co. entreprend des discussions pour, quant à Upper Lakes Group, acquérir les actifs de Davie et quant aux trois partenaires, produire une soumission au programme fédéral avant la date butoir. Pour se qualifier sous le programme fédéral, les actifs doivent être entre les mains d’une nouvelle entité juridique qui n’est pas sous la protection de la LACC. Il faut donc signifier et présenter une requête et obtenir du tribunal l’autorisation de vendre substantiellement tous les actifs de Davie à cet acquéreur, lequel doit notamment assumer au moins un contrat de fabrication de construction de navire pour se qualifier.

Dans la soirée, sinon la nuit du 20 au 21 juillet 2011, l’honorable Étienne Parent, qui supervise de très près le dossier depuis son début, entend une requête contestée pour la vente des actifs au palais de justice de Québec. La requête est contestée par un des clients de Davie. La disponibilité et la collaboration du juge Parent font honneur à la réputation d’efficacité de la chambre commerciale de la Cour supérieure du Québec. En effet, vu l’urgence, le juge Parent a siégé en soirée, s’est assuré de la disponibilité de la salle et de la collaboration du personnel du palais de justice, greffier, huissier-audiencier et autres, et malgré qu’on lui ait coupé la climatisation et la ventilation par la journée la plus chaude de l’été, malgré une interruption temporaire de l’électricité, malgré les conventions collectives du Ministère de la Justice, le juge Parent a pu compléter son audience et rendre un jugement détaillé autorisant la vente. La transaction s’est immédiatement signée et l’acquéreur a déposé son offre au gouvernement fédéral avant la date butoir.

Le 27 juillet 2011, Reuters publiait un communiqué (corrigeant une information erronée publiée précédemment) annonçant que le nouveau chantier Davie avait été accepté par le gouvernement fédéral comme successeur autorisé de Chantiers Davie comme soumissionnaire pré-qualifié, ce qui était une exigence du programme fédéral. La condition résolutoire prévue dans l’acte de vente à cet égard était donc levée. Il reste donc à savoir si Davie obtiendra ou non un des contrats fédéraux disponibles.

Quant à l’offre de l’acquéreur, elle s’élève à environ 27,5 M$, soit 26 M$ pour Investissement Québec pour couvrir sa créance et les prêts temporaires, 500 000 $ environ pour les taxes foncières et 1 M$ qui serait entièrement disponible pour les créanciers. C’est nettement supérieur au prix d’achat de 2008 de 1$ et aux valeurs de liquidations anticipées.

Le dossier Chantiers Davie est exceptionnel par la vitesse à laquelle une transaction extrêmement complexe a pu être complétée avec la collaboration extraordinaire de la Cour supérieure. En une petite semaine, l’acheteur a réussi à négocier une offre, obtenir la permission du tribunal, clôturer la transaction et déposer une soumission au programme fédéral avec sa demande de qualifier l’acquéreur comme cessionnaire autorisé du soumissionnaire qualifié. Une vente d’entreprise a été réalisée avec succès au lieu d’une liquidation à la pièce des actifs de l’entreprise, ce qui permettra à un des clients de voir son contrat assumé, aux employés d’obtenir les droits qui découlent des lois du travail et aux fournisseurs de continuer à avoir un client, même si plusieurs ne recevront qu’une partie de leur ancienne créance dans le cadre de l’arrangement.

Le cabinet Fraser Milner Casgrain représentait SNC-Lavalin Defence Contractors dans ce dossier et le contenu de ce blogue découle exclusivement des documents disponibles publiquement et n’engage que l’auteur.

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