Tout ça pour quoi?
Il y a eu, au cours des derniers jours, un peu de brasse-camarade (l’expression m’a toujours fait sourire et le groupe du même nom était plutôt sympathique…) sur les chantiers de construction québécois.Pourquoi (ou, plutôt, pour quoi)?La rumeur veut que ce soit en raison de la Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction (aussi connue sous le nom de projet de loi 33) et, plus spécifiquement, en raison des mesures contenues dans cette loi afin de remplacer l’actuel système de « placement syndical » par un système de « référencement syndical ».Vraiment…? Le « placement syndical » (selon le sens communément donné à cette expression dans l’industrie de la construction, à savoir que les membres du « placeur » sont fortement favorisés) est déjà interdit par la Loi R-20 (voir notamment les articles 101, 104 et 115 de la Loi) et, avec égards, si la pratique a survécu pendant plusieurs années à une interdiction formelle, on voit mal comment l’implantation d’un système de référencement changera significativement les habitudes. Cela est d’autant plus vrai que, dans certains secteurs névralgiques, certains locaux de la FTQ-Construction et du Conseil provincial détiennent, à toutes fins pratiques, un monopole sur la main-d’oeuvre (car, dans ces secteurs, ils représentent 99.9% des salariés) et que la mise en place d’un intermédiaire (en l’espèce, un fonctionnaire de la Commission de la construction du Québec syndiqué auprès de la FTQ) ne modifiera rien à cette situation de contrôle.On peut donc considérer que le débat entourant le « placement syndical » est, en fait, une diversion… On peut cependant comprendre que tous les acteurs concernés bénéficient de cette diversion. D’un côté, le gouvernement s’achète du capital politique auprès de la population en s’attaquant à un concept connu (mais peu compris) et, en même temps, il se dégage une marge de manoeuvre pour s’entendre avec les syndicats sur les vrais enjeux (la ministre s’étant déjà déclarée prête à bouger sur tous les points, sauf le placement syndical). De l’autre côté, les syndicats finiront probablement par lâcher du lest sur la question du « placement syndical » (une fois qu’ils se seront assurés que le nouveau système peut être, à tout le moins partiellement, « géré ») et ce, en échange de gains (qui passeront inaperçus) sur des enjeux véritablement névralgiques.Quels sont ces enjeux?Pour bien les identifier, il faut comprendre que, dans sa forme actuelle, l’industrie québécoise de la construction est, à toutes fins pratiques, un cartel où, à tous les trois (3) ans, deux (2) grands syndicats négocient avec les entrepreneurs de la construction (qui, comprenons-nous bien, sont fondamentalement des intermédiaires dans l’industrie, puisque les coûts réels sont ultimement assumés par des tiers – les donneurs d’ouvrages – qui ne participent pas à la négociation) des conventions collectives. Un organisme de contrôle, la Commission de la construction du Québec (dont le conseil d’administration est, à toutes fins pratiques, contrôlé par les deux (2) grands syndicats concernés), s’assure par la suite de la gestion du système et lui assure l’exclusivité du marché. Pour leurs services, les deux (2) syndicats obtiennent la part du lion des 60 à 70 millions de cotisations syndicales versées annuellement par les travailleurs (ce qui donnent environ 150 millions sur trois (3) ans afin de négocier trois (3) ententes collectives et d’offrir certains services accessoires – un bon deal selon la majorité des observateurs) et, de façon plus occulte, peuvent avoir accès aux diverses sources de financement « indirectes » créées par leur monopole. Évidemment, pour que ce sweet deal fonctionne bien, il importe de restreindre au maximum l’intervention des autres syndicats, de l’organisme de contrôle et/ou des tiers concernés dans le système (puisque toute intervention risque de miner graduellement les avantages concurrentiels offerts aux grands syndicats).Or, le projet de loi 33 comprend plusieurs dispositions qui augmentent le rôle des tierces-parties.Ainsi, le projet de loi prévoit l’accord d’au moins trois (3) des cinq (5) associations représentatives reconnues représentant plus de cinquante pour cent (50 %) des voix pour la conclusion d’une convention collective. Cela signifie que, désormais, la FTQ-Construction et le Conseil provincial ne seront plus les seuls à négocier les ententes collectives pour la partie syndicale; il sera donc plus difficile pour eux d’offrir à leurs membres des avantages supérieurs à ceux offerts aux autres travailleurs de la construction.Le projet de loi impose également aux associations d’entrepreneurs l’obligation de consulter les donneurs d’ouvrage en début de négociation et avant de soumettre le projet final d’entente à leurs membres. On peut présumer que cela incitera les associations d’entrepreneurs à faire un peu moins de concessions aux syndicats.En matière de gouvernance, le conseil d’administration de la CCQ est réduit et modifié par le projet de loi. Il comprend désormais moins de membres nommés par la FTQ-Construction et le Conseil provincial et quatre (4) membres indépendants. L’organisme de contrôle aura donc peut être un peu plus de dents.En outre, le projet de loi prévoit la création de comités du conseil d’administration (soit le comité de gouvernance et éthique et le comité de vérification) et la mise en place de nouvelles mesures quant à la création des comités de formation et d’avantages sociaux ainsi que quant à la gestion des fonds d’indemnisation et de formation. Il faut comprendre que, année après année, des sommes considérables étaient versées par les employeurs à ces fonds non régulés.Finalement, le projet de loi renforce les critères d’habilité des dirigeants, représentants et délégués des associations syndicales représentatives (à titre d’exemples, un dirigeant syndicat ne pourra plus, désormais, occuper ses fonctions s’il a été condamné pour meurtre…) et il impose aux associations une comptabilité séparée par genre de services et la publicité des états financiers vérifiés (voir, à cet égard, mon billet du 7 octobre dernier).Je reprends donc… Quels sont les vrais enjeux à l’origine du brasse-camarade actuel? Ce sont les mesures prévues au projet de loi 33 qui sont susceptibles d’affecter le contrôle des deux (2) grands syndicats de la construction sur leur situation de quasi-monopole. Est-ce que l’abolition du « placement syndical » est véritablement la plus importante de ces mesures? Probablement pas.En fait, pour savoir qui a gagné cette joute plus politique que juridique, il faudra regarder si, au final, la plupart des mesures mentionnées ci-haut ont été conservées. Dans l’affirmative, on pourra considérer que le gouvernement a posé un geste timide (mais nécessaire et, compte tenu des antécédents historiques, courageux) pour changer un peu l’industrie québécoise de la construction. Dans la négative, nous serons forcés de constater que, par delà les écrans de fumée, les deux (2) grands syndicats de la construction auront réussi à protéger leurs billes.P.S. Je tiens à remercier Yves Turgeon, notre expert dans ce domaine névralgique, pour son input dans le cadre de la rédaction du présent billet.