Boutique Jacob: le banquier avec un revolver est mal armé!

 Boutique Jacob : le banquier avec un revolver est mal armé!

Le dossier de la restructuration de Boutique Jacob est une véritable restructuration    en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).  Il s’est déroulé rapidement avec une ordonnance initiale émise le 18 novembre 2010 et une ordonnance d’approbation rendue le 20 septembre 2011 pour le plan d’arrangement par lequel les créanciers ordinaires ont accepté de recevoir environ 7 cents par dollar de réclamation.

Plusieurs aspects du dossier sont intéressants, dont une première utilisation de la réorganisation du capital-actions en vertu de l’article 411 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec, sur laquelle nous reviendrons, mais aussi à l’égard du traitement et de l’application des règles de suspension de procédures dans le cas d’un crédit rotatif d’opération. Cette facilité de crédit est connue sous le nom de crédit revolving ( en italique, mais à mon grand désespoir, nos amis français ont jugé opportun de bien inutilement le mettre dans le Robert) ou plus simplement, « revolver ». 

Le crédit revolver

Le revolver est donc tenu par le banquier qui accorde à l’entreprise une marge de crédit rotatif, habituellement garantie par les actifs à court terme, soit les comptes à recevoir, les stocks et les matières premières.  Le revolver est balisé par deux règles fondamentales, soit le montant maximum du crédit autorisé et, d’autre part, le pouvoir d’emprunt, soit le montant disponible établi en vertu de règles conventionnelles dont le calcul de disponibilité est fondé sur le niveau des actifs à court terme tel que déclaré périodiquement par l’emprunteur.  Par exemple, le banquier peut permettre des avances équivalentes à 75 % des bons comptes à recevoir de 90 jours ou moins et 50 % de la valeur des stocks de produits finis.  Dans le cas de Boutique Jacob, Banque Nationale du Canada avait mis à la disposition de l’entreprise un revolver de 10 M$ qui contenait un tel pouvoir d’emprunt. 

Contrairement à ce qui se passe dans plusieurs dossiers, le dépôt de la requête pour l’obtention d’une ordonnance initiale en vertu de la LACC ne s’est pas fait en collaboration entre l’entreprise insolvable et son banquier qui se présentent bras dessus bras dessous au tribunal. Au contraire la demande était vigoureusement contestée par la Banque Nationale. 

Pour comprendre le débat entourant l’utilisation du revolver, il est nécessaire de faire une certaine mise en contexte : d’abord, de certaines opérations des commerces de détail, ensuite de la situation de Boutique Jacob et finalement, des règles normalement applicables en matière d’arrangements à l’égard des nouvelles avances. 

Les commerces de détail

Comme c’est souvent le cas dans les commerces de détail, la marge de crédit d’opération est utilisée pendant une période hors pointe. Lors des ventes de la période des Fêtes, en novembre, décembre et janvier, elle est normalement réduite à zéro et on peut même afficher des soldes bancaires positifs. 

Également, les commerces de détail à multiples succursales doivent effectuer des dépôts quotidiens des recettes liquides. Ils  sont souvent situés dans des centres commerciaux. Parfois les commerces sont dans des communautés qui n’ont qu’une institution bancaire. Plusieurs comptes sont alors ouverts dans diverses institutions financières et sont transférés tous les jours vers un compte de consolidation.  Dans le cas de Boutique Jacob, tous ses comptes étaient consolidés dans un compte à la Banque Royale du Canada et l’entreprise transférait normalement en fin de journée le montant en dépôt vers Banque Nationale du Canada pour réduire le revolver, le tout afin de réduire ses frais d’intérêt et de gérer ainsi sa trésorerie. 

Situation de Boutique Jacob

Boutique Jacob opérait 155 boutiques de Halifax à Vancouver sous les raisons sociales Jacob, Josef, Connexion et Jacob Lingerie.  L’entreprise, née à Sorel, appartient à un propriétaire unique. Boutique Jacob a déjà fait jusqu’à 300 M$ de chiffre d’affaires annuel.  Depuis quatre ou cinq ans, ce chiffre d’affaires était baissé à 145 M$.  Des pertes à hauteur de 68 M$ avaient été couvertes par des avances du propriétaire par l’intermédiaire de sa société de gestion, laquelle détenait également une garantie sur les actifs de Boutique Jacob. Le propriétaire est donc dans une position relativement avantageuse si une liquidation doit avoir lieu. L’entreprise avait 1 800 employés. 

L’entreprise tentait de redresser sa situation financière et son principal problème résultait de baux pour des emplacements non productifs, parfois dans le même centre commercial, et qui se cannibalisaient la même clientèle des femmes BCBG.  Les négociations avec les locateurs étaient enlisées.  Pour activer les négociations, Boutique Jacob a donc fait défaut de payer tous ses loyers en novembre 2010, la plupart à huit grands locateurs commerciaux comme Cadillac Fairview et autres.  Ce défaut de paiement de loyers a rendu les relations tendues avec Banque Nationale du Canada, de sorte que le dépôt en vertu de la LACC est devenu inévitable. 

Le jour du dépôt, le 18 novembre 2010, Banque Nationale du Canada avait fait des avances à Boutique Jacob sur le revolver à hauteur de 8 835 000 $, soit à l’intérieur du crédit autorisé et le tout amplement couvert par son pouvoir d’emprunt.  Cependant, un montant d’environ 6 M$ était en dépôt à la Banque Royale du Canada dans le compte de consolidation en raison du fait que Jacob n’avait pas  transféré le solde vers la Banque Nationale du Canada depuis quelque temps.  BNC a donc contesté la demande pour l’ordonnance initiale, exigeant le transfert immédiat du solde afin de réduire le crédit du revolver. 

Le crédit d’opération et la LACC

La loi prévoit que dans le cas d’un arrangement, comme dans le cas d’une proposition, aucun créancier n’est tenu d’avancer de nouveaux crédits à l’entreprise insolvable.  Tous les créanciers sont donc en droit d’exiger d’être payés sur réception à compter du début des procédures.  L’application de ces règles à un crédit rotatif n’est pas autrement élaborée dans la loi.  La pratique veut cependant qu’une entente d’atermoiement ou forbearance agreement intervienne, verbalement ou par écrit. Cette entente prévoit que l’entreprise pourra utiliser son crédit rotatif à hauteur du montant déboursé lors de l’ordonnance initiale, tout en respectant les règles de pouvoir d’emprunt.  Ainsi, la marge de crédit peut fluctuer à la baisse et revenir au seuil déboursé lors de l’ordonnance initiale en autant que l’entreprise opère et continue à respecter le pouvoir d’emprunt pour ainsi assurer que la position du banquier ne se détériore pas. 

L’ordonnance initiale

Entre le 18 et le 25 novembre 2010, Banque Nationale a appliqué environ 800 000 $ en réduction de la marge de crédit et a voulu rabattre la limite autorisée à 8 300 000 $.  En raison de cela, Boutique Jacob a continué de refuser de transférer du 6M$ de Banque Royale vers Banque Nationale et à ne pas faire les transferts quotidiens vers Banque Nationale du Canada. 

L’honorable juge Martin Castonguay de la Cour supérieure a sonné la fin de la récréation et remis les pendules à l’heure.  Il a ordonné à l’entreprise de transférer le solde de la Banque Royale à la Banque Nationale et de reprendre les pratiques antérieures qui, même si elles n’étaient pas consignées dans des engagements formels, reflétaient une pratique et une entente avec Banque Nationale du Canada. De plus, il est ordonné que tous les dépôts soient transférés vers Banque Nationale du Canada au fur et à mesure de leurs entrées. 

Par ailleurs, la banque a concédé que l’entreprise avait droit au montant de 8 835 000 $, sous réserve de son pouvoir d’emprunt.  On peut dire en quelque sorte que le tribunal a ordonné l’application d’une entente d’atermoiement.  Cependant, on ne peut pas dire que le banquier est désarmé face à cette situation.  En effet, il est important de noter que Boutique Jacob était à l’intérieur tant de la limite maximale du crédit rotatif que de son pouvoir d’emprunt.  Il n’en demeure pas moins que la méthode utilisée par l’entreprise lui a permis de bénéficier de liquidités importantes dans les premiers jours de sa restructuration pour payer le loyer et ses fournisseurs et par la suite d’avoir accès au revolver pour 8,835M$.

La restructuration

Cette question des liquidités étant réglée, Boutique Jacob s’est empressée de mettre en place un redressement et a procédé à environ 45 fermetures de boutique sur une période de quatre mois en donnant des préavis de 30 jours à ses locateurs.  Le personnel du siège social a été réduit de moitié, passant de 200 à 100 personnes et 400 employés au total ont été remerciés.  L’entreprise a également mis en place des mesures pour améliorer  sa mise en marché, son approvisionnement, son positionnement stratégique ou  branding et elle a développé un site de commerce électronique et utilisé les médias sociaux pour améliorer sa performance. Les consultants devaient être contents. Avec l’assistance du contrôleur, Boutique Jacob a négocié les importantes réclamations des locateurs dont les baux avaient été résiliés afin d’en déterminer le quantum raisonnable qui représente, dans ce cas?ci, environ un an de loyer.

 Il est important de noter que l’actionnaire n’a pas voté sur l’approbation du plan d’arrangement même si la LACC ne contient pas les mêmes restrictions que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité à cet égard.  L’arrangement a reçu l’appui d’une grande majorité des créanciers. Il faut dire que la position de l’actionnaire comme créancier garanti n’aurait laissé aucun dividende aux créanciers ordinaires en cas de faillite. Le contrôleur PricewaterhouseCoopers  pouvait donc recommander l’acceptation de l’arrangement comme plus avantageux qu’une faillite. $4 000 000 étaient offerts aux créanciers non-garantis.

Entre?temps, en mars 2011, la Banque Canadienne Impériale de Commerce a remplacé la Banque Nationale du Canada avec un prêt prioritaire (DIP) qui est devenu une nouvelle facilité de crédit pour l’entreprise lors de l’approbation du plan d’arrangement.  Lors de cette approbation, une planification fiscale complexe prévoyait l’utilisation de l’article 411 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec afin de liquider et fusionner diverses compagnies dont la compagnie opérante, sa société mère et une filiale qui détenait les marques de commerce. Certaines de ces sociétés étaient solvables et n’étaient pas sous le couvert de la LACC. L’article 414 de la Loi sur les sociétés par actions du Québec aurait-il du entrer en jeu? Des motifs détaillés sont attendus de la part de l’honorable juge Castonguay à cet égard et Edilex sera évidemment au rendez?vous.

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