De La Bolduc à Amy Winehouse: Le décès d’un auteur

La sortie cette semaine du nouvel album posthume d’Amy Winehouse nous donne une excellente occasion de discuter du décès des auteurs. Si le décès d’un auteur braque sur lui les projecteurs et peut ainsi donner une deuxième vie à ses œuvres, il engendre également plusieurs questions légales d’importance et particulières aux auteurs.

Droits contractuels

Bien sûr, en acceptant l’héritage, les héritiers sont investis des droits et obligations de l’auteur en vertu des contrats qui le liaient à sa mort.

Par contre, parce que plusieurs de ces obligations sont intimement liées à la personne même de l’auteur[1], plusieurs de celles-ci seront automatiquement annulées ou résiliées. Par exemple, on ne peut forcer des héritiers à peindre un tableau commandé.

Mais attention, les héritiers conservent le droit de percevoir les revenus provenant de l’exploitation des produits et des œuvres de l’auteur, conformément aux contrats.

Ainsi, les héritiers d’Amy Winehouse n’ont pas à entrer en studio pour compléter les enregistrements. Par contre, ils auront droit aux argents qu’Amy devait recevoir en vertu du contrat de disque en plus de toutes les redevances pour exploitation de ses chansons pour toute la durée de protection de ces œuvres.

Durée de protection des œuvres

On calcule la durée de protection de plusieurs types d’œuvres à partir de la mort de l’auteur, par exemple : les œuvres artistiques (peintures, dessins, sculptures, photographies, architecture), les œuvres musicales et les œuvres littéraires. Ces durées de protection varient de pays en pays, allant généralement de 50 ans à 70 ans après la mort du dernier auteur. Au Canada, ce délai est généralement de 50 ans après la mort du dernier auteur.[2] Après cette période l’œuvre devient partie du domaine public et tous peuvent l’utiliser sans autorisation des propriétaires.

Arrivera donc nécessairement une période durant laquelle ces œuvres seront protégées dans certains pays et non pas dans certains autres!

Par exemple, pour Amy Winehouse, sa chanson « Rehab » dont elle est seule auteure sera protégée au Canada jusqu’en 2061. Mais la durée de protection de sa chanson « Back to Black » n’est pas encore connue et pourrait durer encore très longtemps car son coauteur, Mark Ronson, est encore jeune et bien vivant.

Dans le cas de La Bolduc (Mary Travers), décédée en 1941, ses chansons et musiques dont elle est la seule auteure font partie du domaine public depuis 1991. Donc, le producteur du nouvel album « Les enfants de La Bolduc » sorti en 2011 est libre d’exploiter ces œuvres sans redevances aux héritiers et éditeurs de La Bolduc.

Droits moraux

Les droits moraux de l’auteur, s’il n’y a pas renoncé, sont dévolus à ses héritiers dès son décès.[3]

Les héritiers peuvent alors validement exercer tous les droits que l’artiste avait en lien avec les droits moraux (droit à l’intégrité de l’œuvre et droit d’en revendiquer la création). Les droits moraux sur une œuvre ont la même durée que la durée de protection sur l’œuvre.

Les héritiers d’Amy Winehouse peuvent donc exercer ces droits.

Par contre, les droits moraux sur les chansons de La Bolduc ont pris fin en 1991 au même moment que la durée de protection. On pourrait donc aujourd’hui reprendre une de ces chansons même sans mentionner La Bolduc comme auteur original et même en déformant à outrance la chanson, les héritiers de La Bolduc ne pourraient pas s’y opposer.

Droit de réversibilité

La mort d’un auteur marque également le point d’un départ d’un délai bien moins connu : celui du droit de réversibilité.[4]

Ce droit est celui par lequel les héritiers d’un auteur décédé deviennent propriétaires des œuvres cédées à des tiers durant sa vie. Il s’agit d’un droit patrimonial : le droit de réversibilité fait partie du patrimoine des héritiers et ceux-ci peuvent validement vendre ce droit dès la mort de l’auteur.[5]

Ce droit n’existe pas dans tous les pays mais il existe au Canada, où le délai est de 25 ans. Ainsi, 25 ans après la mort de l’auteur, toutes les cessions et les licences sur les œuvres prennent fin malgré toute disposition contraire. Le droit d’auteur sur l’œuvre devient alors un droit indivis entre tous les héritiers de l’auteur.

Par exemple, Félix Leclerc est décédé en 1988. Très bientôt, en 2013, ses héritiers deviendront propriétaires de toutes les chansons dont il est l’auteur, à moins qu’ils aient vendu leur droit de réversibilité ou , le cas échéant, que Félix en ait disposé autrement à son testament.


[1] Ce que les juristes qualifient d’obligations intuitu personae.

[2] Art. 6 et 9  Loi sur le droit d’auteur.

[3] Art. 14.2 Loi sur le droit d’auteur

[4] Art.14 Loi sur le droit d’auteur.

[5] Redwood Music Ltd. v. Bourne, 1999 CanLII 2102 (ON CA).

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