Attention au traitement fiscal des clauses restrictives
Il règne dans le monde fiscal une incertitude qui entoure l’application des règles fiscales proposées sur les clauses restrictives, qui n’ont toujours pas été adoptées (malgré qu’elles aient été introduites depuis plusieurs années). à
Rapidement, rappelons que ces règles (prévues à l’article 56.4 de la Loi de l’impôt sur le revenu) ont été introduites suite aux décisions de la cour d’appel fédérale dans Fortino et Manrell, qui a statué que la portion attribuée à l’engagement de non-concurrence dans le cadre d’une vente d’actions n’était pas imposable, puisque le droit d’exploiter une entreprise ne constitue pas un « bien », et donc le paiement pour un tel engagement ne peut être considéré comme le produit de disposition d’un bien.
Le ministre des Finances a réagi en annonçant dès octobre 2003 dans un communiqué de presse un avant-projet de loi (les dispositions seront en vigueur pour les transactions conclues après le 7 octobre 2003). Les nouvelles règles (modifiant la L.I.R.) ont finalement été proposées en février 2004, modifiées quelques fois par la suite depuis ce temps, et réintroduites avec quelques modifications en juillet 2010 (suite à la dissolution du Parlement en 2008). Elles ont été vivement contestées et critiquées depuis le tout début, les fiscalistes relevant plusieurs problématiques potentielles. Malgré les contestations, il semble que le ministre tienne aux dispositions dans leur forme actuelle.
La règle générale qui s’applique au contribuable qui a consenti à octroyer une clause restrictive est prévu au paragraphe 56.4(2) L.I.R., qui prévoit que le contribuable doit inclure dans son revenu de l’année (à titre de revenu ordinaire, donc imposable à 100 %) tout somme reçue ayant trait à une clause restrictive. Le paragraphe 56.4(1) L.I.R. définit le terme “clause restrictive” de façon très large, de sorte qu’en plus des engagements de non-concurrence (octroyés dans le cadre d’une vente d’actions, d’une vente d’entreprise, d’un contrat d’emploi), plusieurs autres engagements semblent visés (non-sollicitation, non-divulgation, etc.).
Heureusement, la règle prévue au paragraphe 56.4(2) L.I.R. comporte quelques exceptions. Par exemple, concernant un engagement de non-concurrence octroyé dans le cadre d’une vente d’actions, une disposition permet à l’acheteur et au vendeur (sans lien de dépendance) de faire un choix conjoint (sur un formulaire prescrit qui n’existe pas encore), à certaines conditions spécifiques et dans les délais prescrits (56.4(3)c) L.I.R.). Si un tel choix s’avère valide, la somme reçue ayant trait à l’engagement de non-concurrence s’ajoute au produit de disposition des actions (et donne donc lieu à du gain en capital, qui bénéficie d’un traitement fiscal avantageux).
Un autre ajout important à la loi est l’article 68 L.I.R., qui permet à l’Agence du revenu du Canada de réviser la répartition d’une contrepartie visant la clause restrictive (incluant l’attribution d’un montant même si les parties ont choisi de ne pas en attribuer à la clause restrictive). Cette prérogative de l’ARC est limitée par quelques exceptions spécifiques, mais les conditions sont assez strictes (notamment dans le contexte d’une vente d’entreprise familiale) et les contribuables ne pourront se prévaloir des exceptions de façon automatique.
Le résumé qui précède est loin de constituer une analyse exhaustive des nouvelles règles proposées sur les clauses restrictives. Le but de ce blogue est de rappeler aux praticiens et contribuables que dans le cadre d’une vente d’actions ou autre transaction, l’application de ces règles fiscales n’est pas à négliger. Bien que les règles ne soient pas encore en vigueur, elles auront un effet rétroactif et il importe de les considérer dès à présent. Évidemment, les choix seront permis pendant un certain délai suivant la sanction du projet de loi, mais il n’est pas toujours évident de rouvrir des négociations entre un acheteur et un vendeur pour signer conjointement, advenant que les exceptions à l’article 68 L.I.R. ne s’appliquent pas. Par ailleurs, la rigueur de l’ARC quant à l’utilisation éventuelle de l’article 68 L.I.R. n’est pas certaine. Si elle se limite à appliquer l’article avec retenue et ne remet en question que les arrangements déraisonnables, les inquiétudes tomberont, mais allez donc savoir!
En attendant, chaque situation devrait être analysée pour s’assurer que l’une des exceptions s’appliquent, et les clauses restrictives devraient être rédigées avec précaution.