Enchères sur mots-clés et le droit des marques de commerce au Canada et au Québec

Considérant l’importance croissante de la publicité en ligne, particulièrement au travers d’engins de recherche tels que Google, il ne devrait surprendre personne que la pratique d’acquérir à des fins publicitaires certains mots-clés populaires soit devenue une source de tension grandissante entre compétiteurs dans le marché de la publicité sur Internet. À cet égard, les entrepreneurs de la publicité en ligne se retrouvent face à une question d’importance capitale : est-ce que le fait d’acquérir la visibilité offerte par la marque de commerce d’un compétiteur en tant que mot-clé sur un engin de recherche en ligne ou « enchère sur mots-clés » (au travers de programmes tels que Google AdWords par exemple) constitue une usurpation de la marque de commerce de ce compétiteur? Même si cette question ne trouve pas directement réponse dans les dispositions de la Loi sur les marques de commerce, deux décisions de tribunaux canadiens ont addressé le sujet, à savoir :

Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College, 2010 BCSC 765, 2011 BCCA 69 (ci-après « Vancouver Career College ») et;

Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., 2010 QCCS 3301 (ci-après « Chocolat Lamontagne »).

Cette semaine, nous avons préparé un résumé sommaire de ces deux décisions, afin de peindre un tableau général de l’état du droit et ainsi guider le lecteur vers ce nouvel horizon commercialement lucratif du droit des marques de commerce.

Vancouver Career College

La décision de première instance en Cour suprême de Colombie-britannique

Est impliqué en tant que défendeur dans cette cause le Vancouver Career College (Burnaby) (« VCC »), un établissement offrant des services de formation professionnelle post-secondaire. Dans la mise en œuvre de sa stratégie publicitaire en ligne, VCC utilise notamment des services tels que Google AdWords lui permettant de lier aux sites internet de VCC la recherche de certains mots-clés par les utilisateurs de l’engin de recherche, sites qui apparaîtront dès lors en tant que « liens commandités » (sponsored links) ou encore « résulats commandités » (sponsored results) en parallèle avec les résulats de recherche ordinaires de Google (aussi appelés « résulats organiques »). Certains de ces mots-clés achetés par VCC s’avèrent par contre être les noms et marques de commerce de ses compétiteurs.

Le requérant dans l’espèce en cause est le Private Career Training Institutions Agency (« PCTIA »), une agence de régulation britanno-colombienne ayant mandat de superviser les établissements de formation professionnelle opérant dans la province. Ayant reçu plusieurs plaintes à ce sujet, le PCTIA a demandé à ce qu’une injonction soit émise contre VCC pour mettre un frein à l’utilisation des noms et marques de commerces des autres établissements de formation professionnelle. L’argument fondamental sur lequel repose la demande d’injonction s’articule autour du fait que le mécanisme de « l’enchère sur mots-clés » constituerait de la publicité fausse et trompeuse, sans toutefois mentionner si cette pratique équivaudrait à une usurpation des noms et marques de commerce des établissements. Comme l’exprime le juge au paragraphe 65 de ses motifs : « La seule question que le tribunal est appelé à trancher est de savoir si l’utilisation par VCC Inc de l’approche publicitaire par mots-clés, et plus particulièrement l’emprunt et l’utilisation des noms de ses compétiteurs dans cette stratégie publicitaire est trompeuse. »

Dans un passage important de ce jugement, la cour a d’ailleurs fait le rapprochement entre l’usage de Google AdWords et le fait de placer côte-à-côte des publicités en compétition dans les Pages Jaunes. Il a été ultimement tranché par le tribunal que cette stratégie de publicité par mots-clés n’était pas une pratique fausse ou trompeuse, et celui-ci a refusé d’émettre l’injonction contre VCC.

La décision d’appel par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique

PCTIA a porté la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Cette dernière a précisé que les décisions de principe portant sur la confusion dans le contexte du droit des marques de commerce ne pouvaient trouver application dans l’espèce en cause. Comme l’avait mentionné le tribunal de première instance, le litige portait essentiellement sur le fait de déterminer si l’utilisation par VCC du nom de ses compétiteurs dans sa stratégie publicitaire par mots-clés constituait une violation d’un des règlements de PCTIA portant sur la prohibition des publicités trompeuses. La Cour d’appel a confirmé qu’on ne devait pas faire l’adéquation entre « trompeur » et « portant à confusion », le deuxième terme représentatnt le test à administrer dans le contexte d’un litige portant sur les marques de commerce uniquement. La Cour d’appel a par ailleurs reconnu que pareille stratégie publicitaire par mots-clés n’était pas trompeuse, et conclu en conséquence que VCC n’avait pas enfreint les règlements de PCTIA.

La décision de la Cour d’appel laisse donc sans réponse la question de savoir dans quelles circonstances l’utilisation du nom d’un compétiteur en tant que mot-clé dans Google constitue une usurpation de la marque de commerce.

Chocolat Lamontagne

Le requérant, Chocolat Lamontagne inc. (« Lamontagne »), opère une entreprise de distribution de chocolat faisant affaires avec des écoles et autres organisations désirant procéder à des levées de fonds. Le défendeur, Humeur Groupe-Conseil Inc. (« Humeur »), est un compétiteur direct de Lamontagne. Humeur a procédé à l’acquisition au travers de Google AdWords de plusieurs mots-clés incluant notamment le nom de la demanderesse et certains éléments des marques de commerce dont Lamontagne est propriétaire. L’utilisateur effectuant une recherche pour « Lamontagne » verrait dès lors apparaître les « résulats commandités » suivants :

« Alternative à Lamontagne

Chocolat et autres produits

Activité de financement pour tous

www.campagne-de-financement.ca »

ou

« Campagne de financement

www.campagne-de-financement.ca

Chocolat à vendre Activité de financement pour tous ».

En cliquant sur le lien fourni par la recherche, l’utilisateur se verrait redirigé vers le site de Humeur.

Lamontagne a déposé une requête introductive d’instance contre Humeur devant la Cour supérieure du Québec, en alléguant la compétition déloyale de ce dernier et en réclamant des dommages-intérêts ainsi qu’une injonction afin d’empêcher l’utilisation par Humeur de son nom ou de ses marques de commerce. La cour a rejeté toutes les prétentions de Lamontagne.

Au soutien de sa décision, la cour a souligné le fait que le site d’Humeur n’était accessible qu’à la demande expresse de l’utilisateur, que ces mots-clés étaient disponibles pour tous, et non Humeur seul, qu’il n’avait jamais été fait usage des marques de commerce de Lamontagne et qu’aucune preuve n’avait été déposée au motif que les consommateurs avaient étés induits en erreur.

Comme le dit la cour au paragraphe 127 de sa décision :

« Les principes généraux de concurrence qui prévalent au pays n’interdisent pas, selon le Tribunal, d’offrir à l’internaute qui recherche de l’information de se voir offrir l’occasion d’accéder à d’autres informations à propos d’une société concurrente à celle qu’il cherche. »

La décision n’a pas été portée en appel, et se trouve à être la référence en matière de publicité par mots-clés faisant usage de noms de commerce ou de marques de commerce au Québec.

Conclusions

Pris dans leur ensemble, ces deux causes semblent vouloir suggérer qu’il serait possible pour une personne d’utiliser sous certaines circonstances les résulats Google AdWords de son compétiteur sans crainte de sa responsabilité civile ou d’accusations d’ursurpation de marques de commerce.

De par ces deux décisions, on remarque que le droit dans ce domaine reste toujours à définir, particulièrement en ce qui à trait aux neuf provinces de common law. En effet, l’autorité de la décision Chocolat Lamontagne advenant un litige similaire qui émanerait des tribunaux canadiens hors-Québec demeure indéterminée. Notons finalement que même si la décision Chocolat Lamontagne demeure à ce jour l’autorité principale dans les questionnements liés à l’utilisation de mots-clés à des fins publicitaires, elle ne saurait imposer son raisonnement aux magistrats qui siégeront dans l’avenir en Cour d’appel si jamais pareil feuilleton judiciaire venait à se répéter.

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